“L’éducation des garçons constitue-t-elle un angle mort du système scolaire français ?” par Antonin CODUYS
L’éducation des garçons constitue-t-elle un angle mort du système scolaire français ?
Antonin CODUYS
L’un des facteurs qui agit le plus sur le climat d’un établissement scolaire semble paradoxalement peu abordé par les politiques publiques en matière d’éducation : le rôle des élèves garçons. À juste titre, des politiques ambitieuses ont été déployées pour favoriser l’accès des filles à des filières d’enseignement supérieur réservées culturellement aux garçons. Mais l’influence considérable des garçons dans la détérioration du climat scolaire, et conséquemment leur plus grande faiblesse dans l’acquisition des apprentissages, ainsi qu’une orientation vers des filières moins valorisées socialement, restent traitées de manière marginale. Comment remédier à cette donnée essentielle dont l’impact apparaît non seulement immédiatement perceptible dans n’importe quel établissement scolaire, mais s’avère fondamental pour l’ensemble du système éducatif français ?
Partant d’un constat local et tout à fait empirique, nous avons souhaité nous appuyer sur quelques études pour démontrer, d’une part, l’échec scolaire important des élèves garçons, et d’autre part, leur rôle prépondérant dans la perturbation du climat scolaire. Comment donc considérer cette question masculine comme un enjeu spécifique qui entraîne des répercussions sur la progression de tous les élèves ? Pour approfondir cette question, nous nous appuierons principalement sur la place des élèves garçons dans le second degré, en particulier aux âges charnières du collège, et nous pourrons, occasionnellement, mentionner le collège où nous travaillons en tant que chef d’établissement adjoint, lequel comprend 610 élèves au centre d’une petite ville[1].
Des élèves garçons moins bien orientés et davantage en difficultés scolaires
Ce qui s’observe à l’échelle d’un établissement n’est pas toujours vérifié par l’ensemble des données statistiques fournies par la DEPP (Filles et garçons sur le chemin de l’égalité, 2024, DEPP). Et pourtant, en l’espèce, les chiffres convergent. À l’échelle nationale, en 2023, les filles s’orientaient massivement en seconde GT (72 %) au palier post-troisième. À l’inverse, les garçons n’étaient que 58 % à emprunter la voie générale et technologique. Cet écart est identique à celui que nous observons au sein de notre établissement scolaire sur les quatre dernières années. Il varie de 12 à 16 points en faveur des filles (données issues de l’application statistique Archipel). Pour les élèves garçons, cela induit une orientation plus forte dans la voie professionnelle sous statut scolaire, mais également des taux de redoublement supérieurs en troisième, une prédilection plus marquée pour la voie agricole, et surtout, le plébiscite de l’apprentissage. Ces différences face à l’orientation peuvent être interprétées comme le signe d’un malaise masculin à l’École, qui se traduit par une attitude d’opposition, voire d’hostilité, dirigée contre l’apprentissage scolaire et tous ses corollaires : la construction d’un parcours éducatif cohérent, l’acquisition d’un diplôme supérieur, l’appréhension de l’École comme facteur d’émancipation sociale.
Ce ne sont naturellement pas les seules données statistiques que l’on peut exploiter. En amont de l’orientation, les difficultés des garçons par rapport au travail scolaire apparaissent de manière évidente. On les perçoit en conseils de classe, dans la proportion de mises en garde travail qui leur sont attribuées, mais également à travers le phénomène de l’absentéisme scolaire. À ce titre, 9 % des garçons sortent précocement du système scolaire contre 6 % pour les filles (ibid.), et ce, alors que l’École a investi massivement et légitimement dans la lutte contre le décrochage scolaire, depuis l’objectif posé par le Conseil européen en 2010 de faire passer le taux d’abandon scolaire sous les 10 %. Les difficultés des élèves garçons se manifestent également par un plus faible taux de réussite aux examens. En 2023, on ne comptait que 75 % de bacheliers garçons contre 84 % pour les filles. Les filles ont des taux de réussite supérieurs dans tous les bacs et reçoivent davantage de mentions. Au collège, elles réussissent également mieux le DNB (90 % d’obtention contre 85 % pour les garçons). Ces éléments se répercutent naturellement dans l’enseignement supérieur puisque seuls 22 % des garçons obtiennent des diplômes supérieurs (doctorat, master) contre 30 % chez les élèves filles. De manière plus inquiétante, la grande difficulté scolaire se concentre aussi chez les garçons puisque 62 % d’entre eux formaient les effectifs de SEGPA en 2017 (DEPP, 2017, NI 17.02).
Dans une note d’information de la DEPP parue en 2016 (Note d’information, n°31, Novembre 2016, DEPP) qui s’appuie sur une enquête nationale de victimation, les écarts vis-à-vis du travail scolaire sont exposés de manière saisissante entre les filles et les garçons au lycée :
- Sentiment vis-à-vis de l’apprentissage « bon ou très bon » : 81,4 % (garçons) / 86,7 % (filles).
- Attitude attentive en cours « forte ou très forte » : 75,6% (garçons) / 83,2 % (filles).
- Attitude vis-à-vis de la prise de notes « bonne ou très bonne » : 71,4 % (garçons) / 85,5 % (filles).
- Au moins deux heures hebdomadaires dédiées au travail scolaire : 50,5 % (garçons) / 68,7 % (filles).
Ces éléments démontrent le manque d’appétence des élèves garçons pour le travail scolaire et met en lumière leurs difficultés propres. Mais c’est aussi le signe d’un groupe qui ne s’intègre pas pleinement dans les codes scolaires et qui, parfois, vient durablement les remettre en cause.
Des élèves garçons plus perturbateurs et sanctionnés plus durement
Dans notre établissement scolaire, 92 sanctions ont été données en 2023-2024. 83,7 % d’entre elles concernaient des élèves garçons. Non seulement les garçons sont plus perturbateurs, mais la gravité des infractions qu’ils commettent est plus importante. Ainsi, les garçons sont davantage impliqués dans les violences physiques. Selon la note de la DEPP citée plus haut (Filles et garçons sur le chemin de l’égalité, 2024, DEPP), 50 % des garçons déclarent avoir été victimes de bagarre en primaire et 20 % au collège (contre 22 % et 10 % pour les filles).
Au lycée, les garçons sont 57 % à déclarer avoir reçu une punition ou une sanction au cours de l’année scolaire contre 39 % pour les filles. La proportion est supérieure à tous les niveaux (Note d’information, n°31, novembre 2016, DEPP) :
- Retenue : 35,6% (garçons) / 22,4 % (filles).
- Exclusion de cours : 24,7% (garçons) / 13,1% (filles).
- Avertissement : 14,3 % (garçons) / 7,4 % (filles).
- Exclusion temporaire de l’établissement : 5,9 % (garçons) / 1,8 % (filles).
En revenant à de l’observable, on note que les garçons sont aussi plus sujets à des conduites à risque, lesquelles se tournent d’ailleurs plutôt vers les autres que vers soi. Dans la vie quotidienne d’un collège, ils défient davantage l’autorité et s’inscrivent dans un collectif (une « bande ») qui peut perturber durablement le climat scolaire. La relation à l’adulte est parfois entachée de défiance, ce qui implique une mobilisation plus importante de la communauté éducative pour quelques élèves garçons (réunions, entretiens, commissions éducatives, etc.). Dans la construction de leur identité masculine, l’affirmation de soi peut passer par une remise en question du cadre scolaire et de ses règles. Ce faisant, il en résulte, pour l’ensemble des élèves, de fortes perturbations qui ébranlent le système scolaire et, en particulier, la vocation de celui-ci à garantir « l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales » (article L111-1 du Code de l’Education). Car ce sont bien les élèves les plus fragiles qui souffrent en premier lieu du désordre provoqué par quelques-uns, en ne recevant pas toujours l’attention qu’ils mériteraient de la part des adultes de l’établissement.
Dans un ouvrage intitulé La Fabrique des garçons : sanctions et genre au collège (PUF, 2011), son auteur, Sylvie Ayral, étudie un échantillon de collèges et révèle que les garçons représentent :
- 79,9 % des élèves punis ou sanctionnés ;
- 83,7 % des élèves ayant reçu une sanction disciplinaire.
Elle ajoute que plus les sanctions sont graves, plus elles s’adressent à des élèves garçons. Ce travail sociologique aboutit à la mise en avant d’une « hégémonie des valeurs viriles » au collège qui serait permise, notamment, par un « appareil punitif » erratique, contradictoire et inique, favorisant une « asymétrie sexuée » en matière de sanctions. Nous nous éloignons de cette lecture « foucaldienne » du pouvoir à l’École, c’est-à-dire essentiellement négative et porteuse d’inégalités, et où le symbolique semble occuper une place démesurée (les « rites punitifs »). Au contraire, l’École demeure une représentation sociale des égaux politiques, c’est-à-dire des citoyens en devenir, qui s’avère toutefois mise en péril par un comportement frénétique d’élèves garçons mal encadrés, et non une fabrique de la domination masculine, viriliste et injuste.
Quelles pistes pour mieux prendre en compte la question masculine à l’École ?
En acceptant le postulat que les élèves garçons troublent davantage l’équilibre d’un établissement scolaire, la question se pose de parvenir à endiguer cette remise en cause du cadre défini par les adultes. Plusieurs niveaux de réponse se superposent sans doute et la présente contribution n’a d’abord pour vocation que de mettre en lumière l’existence même d’une telle problématique. On peut toutefois conjecturer quelques expédients raisonnables, prémices d’un champ de réflexion qui doit, avant tout, se positionner de manière pratique et utile.
En premier lieu, il s’agit naturellement de bien considérer le problème des difficultés scolaires et des atteintes au climat scolaire comme un fait social résultant particulièrement du comportement de certains élèves garçons. Dès lors, il importe de sortir d’une forme de déni qui viserait à parler du climat scolaire « en général », d’inclure tous les élèves dans des problématiques qui n’en concernent en réalité qu’une minorité. Ce ne sera pas sans difficulté, car, à tous les âges, dans tous les milieux sociaux, partout, les garçons sont très souvent « excusés » pour leur comportement délétère, précisément « parce que ce sont des garçons », qu’ils ont donc des traits propres les poussant à être plus agités et violents. On peut donc poser un syllogisme simple : si les élèves garçons ont des caractéristiques propres qui les poussent à être plus agités et violents, alors il convient de les prendre en compte spécifiquement, et, par conséquent, de ne plus excuser leur comportement si aisément. Il est probable que ce changement de perspective n’adviendra pas sans opposition, en particulier de la part des familles, mais il apparaît essentiel afin que cette problématique puisse sourdre à sa juste place, c’est-à-dire au premier plan des politiques éducatives.
Dans les faits, cela se traduira inévitablement par une plus grande sévérité dans l’encadrement des jeunes élèves garçons, la répréhension systématique, même à un jeune âge, du premier fait contestant le cadre scolaire. Cela passera également par la construction de modèles masculins vertueux, tempérants et persévérants, c’est-à-dire l’édification d’une image positive de la masculinité (réfléchie, scolaire, sportive). Il n’y a aucune raison que ces qualités soient naturellement absentes des garçons. Un encadrement plus strict et tenant compte spécifiquement des velléités masculines pourra en faire émerger des exemples édifiants. Si la gestion des émotions apparaît comme un fait essentiellement culturel, il faut donc revenir à des techniques de contrôle de l’émotion socialement acceptées, encadrées et diffusées au plus grand nombre. En effet, que l’École accepte sans rien dire les colères d’un élève garçon, pose les jalons d’une défiance vis-à-vis du cadre posé par les adultes, qui autorisera ensuite les perturbations du climat scolaire, renforcées par l’édification fantasmée de la « bande » et du « rebelle ». Mieux gérer les émotions et les frustrations, canaliser l’agitation, tarir les fausses révoltes sans complaisance, autant d’enjeux dont la résolution pourra s’appuyer sur la constitution d’un idéal masculin pacifié, l’encouragement au dépassement de soi, la valorisation des réussites dans le cadre scolaire.
Plutôt que le développement d’un ensemble de solutions face à une problématique si complexe – solutions qu’il est d’ailleurs plus facile d’énoncer que de mettre en œuvre –, nous avons voulu éclairer un fait social qui, paradoxalement, n’occupe pas la place qu’il mériterait, selon nous, dans les politiques publiques éducatives. Assurément, cette problématique se dévoile comme un facteur parmi d’autres, à l’instar des déterminismes sociaux par exemple, et elle ne touche qu’une minorité d’élèves garçons turbulents et en difficulté scolaire. Néanmoins, celle-ci s’est tellement étendue dans les établissements scolaires qu’il devient urgent de lui redonner une place légitime dans le débat public.
Antonin CODUYS
Principal adjoint
Collège Jean Jaurès à Nogent-sur-Seine (Aube)
[1] Recrutement urbain et rural. IPS de 95,7. Indice d’éloignement de 106,1. Taux d’élèves boursiers de 16 %. Milieux sociaux très favorisé et favorisé (28,9 %), moyen (25 %) et défavorisé (46,1 %).