“Sélectivité peut-elle rimer avec diversité ? Les enjeux de la formation CPES” par Christophe CHARPIOT
Sélectivité peut-elle rimer avec diversité ? Les enjeux de la formation CPES
Christophe CHARPIOT
« Une issue, ça s’invente [1] ».
Jean-Paul Sartre
Les Cycles pluridisciplinaires d’études supérieures (CPES), mis en place de façon coordonnée à la rentrée 2022, entendent combiner les meilleures prérogatives des classes préparatoires et de l’Université. Tournés résolument vers l’excellence, se voulant à la fois sélectifs et ouverts socialement, les CPES constituent un pool de formations post-bac inédit et porteur, quoiqu’encore insuffisamment identifiés. L’article en décrypte les fondements pédagogiques avant de questionner les inégalités socio-spatiales d’accès aux CPES les plus prestigieux. Cet état de fait, garant d’un certain ordre scolaire, tend à entrer en contradiction avec les objectifs assignés d’égalité des chances qui ont pourtant présidé à la création de ces nouveaux cursus.
Conscient de l’écueil qui guette l’écrivain engagé d’être sommé de choisir entre une URSS au communisme délétère et une Amérique mue par un capitalisme à tout crin, Sartre milite, dans un texte d’après-guerre aux accents étonnamment prémonitoires, pour qu’une issue créative permette de dépasser ce dilemme. Cette sortie par le haut est possible. Et pour le philosophe, elle s’appelle l’Europe. Bon nombre de lycéens d’aujourd’hui, en passe de réfléchir à une orientation post-bac, retrouveront peut-être dans cette métaphore géopolitique les termes d’une opposition entre les classes préparatoires d’une part et l’Université de l’autre, deux « blocs » antagonistes que l’opinion a souvent renvoyés dos à dos. En quoi les Cycles pluridisciplinaires d’études supérieures (CPES), en hybridant deux modèles de formations jusque-là antithétiques, signent-ils une petite révolution pédagogique et institutionnelle ? Leur déploiement actuel et les moyens mis en œuvre permettent-ils de satisfaire pleinement aux objectifs de démocratisation affichés par le législateur ?
Égalité des chances et réussite de tous : les deux brins d’ADN du CPES
Alors que nous siégions dans un conseil de classe de Terminale, la proviseure adjointe a interrogé les vœux d’orientation d’une élève venant d’obtenir les félicitations. Personne à vrai dire ne fut en mesure d’expliciter ce qu’était cet étrange « CPES » demandé par cette élève ayant obtenu 19 à l’écrit du bac de français quelques mois auparavant… Nous avons alors déplié l’acronyme et brièvement expliqué de quoi il retournait au juste. Les Cycles pluridisciplinaires d’études supérieures proposent un cursus exigeant de trois ans permettant d’obtenir le grade de licence ou équivalent[2]. En ce sens, ils prennent place dans la constellation des « nouveaux cursus universitaires[3] » tout en s’inscrivant parfaitement dans la dynamique bac -3 / bac +3 qui fluidifie la logique de parcours amorcée dès le lycée.
Les candidatures sont à renseigner sur Parcoursup et font l’objet d’une sélection sur dossier où les résultats scolaires (notamment ceux en mathématiques) sont scrutés à la loupe et croisés avec la fiche Avenir du lycée d’origine. Les activités complémentaires des élèves et leurs centres d’intérêt, valorisés dans leur lettre de motivation, revêtent également une grande importance. Au passage, Parcoursup n’est pas le « grand méchant loup[4] » que d’aucuns voudraient faire croire. S’il y a bien un algorithme permettant un premier tamisage des candidatures, il incombe ensuite à la CEV[5] de chaque CPES de prendre la main en compulsant les dossiers, notamment ceux des lycéens boursiers « qui bénéficient à ce titre d’une attention soutenue dans la procédure d’examen[6] ». Alors que bon nombre de formations sélectives de l’enseignement supérieur peinent à recruter 10 voire 20 % d’élèves sur la base de critères sociaux, les CPES ont vocation à amplifier l’empan de recrutement en visant 40 % d’élèves boursiers dans leurs rangs, objectif ambitieux qui tranche avec les pratiques usuelles. L’une des caractéristiques des CPES est en effet la recherche d’une mixité sociale par l’ouverture des profils aux élèves méritants, quelle que soit leur origine sociale ou géographique. En l’occurrence, l’ancienne rectrice de l’académie de Versailles, Charline Avenel, a exprimé de manière explicite l’importance de faire de l’égalité filles-garçons le fer de lance du CPES de Paris-Saclay : « C’est un parcours qui est spécifiquement fait pour vous, les jeunes femmes, qui voulez penser le monde pour mieux le transformer[7]. »
« L’égalité des chances ressortit également à la mise en place d’un cadre favorisant la réussite de tous[8] » précise le bulletin officiel qui acte la montée en puissance du dispositif à l’échelle nationale. C’est la raison pour laquelle un soin particulier est mis en CPES dans l’accompagnement de chaque étudiant (par le tutorat, le mentorat) au sein d’une structure qui cultive le sentiment d’appartenance à une même promotion par des sorties culturelles et une vie associative riche, gage de cohésion, de solidarité et d’entraide.
Quant à « l’après CPES », quasiment 100 % des étudiants poursuivent leurs études dans la foulée. Si l’entrée dans des masters sélectifs à l’université demeure le débouché naturel, certains élèves peuvent espérer intégrer une grande école via une admission sur titre voire un concours.
Document 1 : Devenir des étudiants des CPES Sciences, Humanités, Société de l’université Paris Sciences et Lettres (PSL, promotion 2024)
Lecture : 48% des étudiants de la promotion CPES 2024 de PSL poursuivent leurs études en intégrant un master sélectif en France, 15 % sont admis dans une ENS et 14 % dans une école d’ingénieurs.
Source : https://psl.eu/formation/cpes-psl-henri-IV
Du côté de Lyon, les responsables, grâce au partenariat fructueux tissé avec le CHEL[s] local[9], tablent sur une poursuite d’études à l’ENS, Sciences Po Lyon ou Centrale pour un tiers des effectifs de CPES au terme de leur Bachelor[10]. En dépit du manque de recul et de statistiques disponibles eu égard au caractère récent des CPES, il serait maintenant intéressant de recueillir plus de données, d’investiguer davantage et de connaître la proportion d’élèves CPES boursiers, et notamment de boursières, dans les poursuites d’études relevant de l’excellence académique (typiquement les grandes écoles), la vraie réussite de tous se mesurant moins à l’entrée des dispositifs de formation qu’à leur sortie. On pourrait de la sorte évaluer la capacité des CPES à concrétiser une mobilité scolaire ascendante ou bien à seulement translater le couperet de l’élitisme selon le principe d’une « distillation fractionnée ».
Le CPES : une formation sélective alliant le meilleur de la « prépa » et de l’Université
L’intrication entre le monde des CPGE et le milieu universitaire constitue l’atout maître des CPES, une marque de fabrique qui se matérialise par un glissement progressif des lieux de formation entre le lycée et l’établissement d’enseignement supérieur. La transition pédagogique entre l’organisation en vigueur en classe préparatoire et celle de l’université est pensée selon un continuum, sur un mode « fondu enchaîné ». D’ailleurs, les équipes pédagogiques sont le plus souvent composées à parts égales de professeurs de CPGE et d’enseignants-chercheurs.
Document 2 : Schéma illustrant l’organisation pédagogique-type d’un CPES.
Source : Lycée Stanislas, Cannes.
Malgré l’enseignement de matières traditionnelles, le dialogue interdisciplinaire comme culture du décloisonnement anime la logique interne de tout CPES. Ainsi à Lyon, les étudiants du parcours Économie/société peuvent suivre les cours de bio-géosciences du parcours Sciences et réciproquement.
Mais la formation CPES, en cultivant un précoce éthos de chercheur adossé à l’apport d’un solide socle de culture générale, offre surtout une voie médiane intéressante pour des lycéens curieux, alertes intellectuellement et désireux de valoriser leurs compétences dans une formation sélective post-bac sans pour autant souhaiter fournir des efforts dans la seule optique d’un concours. Le CPES offre ainsi un cursus alternatif à la prépa en investissant aussi bien des objets scientifiques émergents (développement durable, data science, IA…) qu’en mûrissant une réflexion économique en phase avec les enjeux de l’extrême contemporain. Ainsi les CPES sont-ils souvent structurés en deux valences, l’une à dominante scientifique, l’autre à dominante économique et sociale sans oublier l’apport des humanités ni des langues vivantes. Il n’est ainsi pas rare que des cours soient dispensés en anglais. Au CPES d’Aix-Marseille, un semestre à l’étranger dans une université partenaire est même obligatoire.
La formation CPES s’adresse par conséquent avant tout à des bacheliers généraux[11] qui ne se projettent pas toujours spontanément vers des études longues et/ou sélectives et qui ne trouvent pas non plus dans l’offre universitaire classique un moyen de répondre à leurs aspirations. « On souhaite cibler les profils de bons lycéens qui peuvent s’autocensurer dans leurs choix d’études supérieures. Soit ils ne pensent pas avoir le niveau pour viser une prépa, soit ils craignent d’être noyés dans la masse d’un amphithéâtre à l’université[12] » explique Alexandra Knaebel, vice-présidente Formation et parcours de réussite.
Pour les meilleurs élèves boursiers dont on sait qu’ils peuvent hésiter à franchir le pas de la « prépa », le CPES peut faire office de formation idoine pour s’investir dans un parcours d’excellence qui rivalise avec la charge de travail demandée en CPGE tout en ménageant des plages appréciables d’autonomie pour s’exercer à la conduite de premiers projets de recherche. Cette démarche de questionnement et de mise en conversation des savoirs est par exemple mise à l’honneur à Janson de Sailly où, pendant tout un semestre, les étudiants réfléchissent en groupes restreints, à partir d’un article scientifique, à améliorer des biopiles à combustible. À Rennes, on peut même obtenir 30 ECTS supplémentaires (10 par an) grâce au module d’initiation à la recherche porté par l’ENS éponyme, si bien qu’au terme de leur parcours de trois ans, les étudiants de ce CPES disposent dans leur escarcelle de 210 ECTS au lieu des 180 d’une licence traditionnelle, ce qui va dans le sens d’une accélération du parcours de formation et de la reconnaissance d’une sur-compétence. Ce goût pour la recherche en train de se faire, instillé dès le premier cycle, pourra même s’étoffer ultérieurement dans une perspective doctorale.
En outre, tout CPES s’attache à construire un environnement stimulant et propice à la découverte par un accompagnement personnalisé et des modules d’éloquence, de prises de parole, de développement des soft skills… Contrairement à une licence monodisciplinaire, la spécialisation est progressive en CPES ; mais comme à l’université, l’accent est mis sur la prise d’initiative, la confiance et le fait d’être acteur de sa formation. Comme en prépa, les effectifs réduits autorisent un accompagnement resserré grâce à un lien privilégié et constant avec l’équipe pédagogique. L’ensemble de ces dispositions concourt à faire du CPES une formation « caméléon », unique en son genre dans le paysage universitaire français. Un récent rapport évaluant l’université PSL souligne qu’en vertu de la grande efficience des leviers pédagogiques à l’œuvre, les CPES permettent à tous leurs étudiants, en interaction avec les autres dispositifs de l’université « de personnaliser leur parcours et d’accéder à une offre de formation plus riche[13]. »
Mais au-delà de ces visées laudatives, y a-t-il des résistances et/ou des réalités de terrain empêchant les CPES de remplir pleinement les objectifs assignés par la nation ?
Disparités géographiques et effets établissements
Alors que seulement deux CPES apparaissaient dans Parcoursup en 2020, les années post-covid ont vu un bourgeonnement rapide de ces dispositifs, beaucoup ayant émergé en 2022 grâce à une impulsion ministérielle sur fond de réformes multidimensionnelles des politiques publiques affectant l’enseignement supérieur français[14]. Les CPES de Paris et Strasbourg, jadis pilotes, sont aujourd’hui des figures de proue entraînant dans leur sillage un essaim de dispositifs fondés sur la même architecture de formation et la même philosophie. Ces CPES témoignent de la vitalité d’un cursus qui séduit de plus en plus de candidats intéressés pour investir un champ mitoyen entre l’univers rigoureux et méthodique des prépas et celui, moins directif, de l’université.
Toutefois, malgré un discours consensuel autour d’objectifs plus que soutenables, force est de constater que l’offre de formation CPES semble assez inégale. D’une part, celle-ci apparaît fortement polarisée par une dualité Paris/province, ce qui engendre un déséquilibre géographique, les CPES excentrés semblant délaissés au profit de la capitale qui fonctionne comme le plus gros attracteur de candidats[15]. D’autre part, sur le critère de l’excellence, une hiérarchie implicite est à l’œuvre. Les CPES parisiens sont les plus courus et bénéficient de la renommée internationale d’une université PSL visant le top 10 mondial à l’horizon 2035. Le tableau qui suit, synthétique, donne matière à une première caractérisation du phénomène CPES : une rapide combinaison des données glanées sur Parcoursup suffit à faire émerger une attractivité sélective où l’effet établissement joue à plein, les CPES d’Henri IV et de Janson de Sailly concentrant à eux seuls plus de la moitié de l’ensemble des candidatures (54,7 %).
Document 3 : Attractivité des CPES en 2024 (classement établi en fonction du nombre de candidats)
Lycée/ville | Parcours CPES | Université ou grande école partenaire | Nombre de candidats | Taux de sélection[16] |
Henri IV, Paris | Sciences | Université PSL | 2 662 | 15,4 % |
Henri IV, Paris | Économie, société, droit | Université PSL | 2 409 | 10,7 % |
Henri IV, Paris | Humanités et société | Université PSL | 1 465 | 8,6 % |
Janson de Sailly Paris | Innovations biomédicales et pharmaceutiques (IBP) | Université Paris Cité | 1 174 | 25,9 % |
Lycée du Parc Lyon | Sciences / Économie et société | ENS Lyon | 888 | 38,8 % |
Lycée Montaigne Bordeaux | Sciences et société | Université de Bordeaux | 815 | 30,5 % |
Janson de Sailly Paris | Environnement et énergies nouvelles | UPC/ Institut de physique du globe | 771 | 42,5% |
Stanislas, Cannes | Humanités, lettres et sociétés | Université Côte d’Azur | 768 | 43,3% |
Chateaubriand Rennes | « SenS » : Sciences, environnement, société | ENS Rennes Université de Rennes | 682 | 47,4 % |
LIPPS, Palaiseau | Sciences des données, société et santé | ENS Paris-Saclay X, HEC | 667 | 45,5% |
Louis le Grand Paris | Sciences des données, arts et culture | Université PSL | 612 | 29,9 % |
Lycée Kléber Strasbourg | Sciences économiques, juridiques et sociales | Université de Strasbourg | 564 | 29,7 % |
Lycée Thiers Marseille | Sciences sociales | Aix-Marseille université | 461 | 47,7% |
Lycée Masséna Nice | Sciences et société | Université Côte d’Azur | 436 | 60,3% |
Lycée Malherbe Caen | Sciences et société | Université de Caen Normandie | 331 | 64,3% |
Lycée Descartes Tours | Sciences de la transition écologique et sociétale | Université de Tours | 277 | 71,1% |
Lycée Joffre Montpellier | Modélisation et numérique en sciences / sciences économiques | Université de Montpellier | 186 | 64,5 % |
Lycée Wallon Valenciennes | Sciences | Univ. Polytechnique des Hauts-de-France | 176 | 73,3% |
Lycée Watteau Valenciennes | Humanités | Univ. Polytechnique des Hauts-de-France | 167 | 82,6% |
Lycée Victor Hugo Besançon | Sciences de l’ingénieur | Université de Franche-Comté | 156 | 60,2% |
Lislet Geoffroy La Réunion | Économie et sciences de l’ingénieur | Université de la Réunion | 112 | 75,9% |
Lecture : En 2024, 15,4 % des 2 662 candidats ayant formulé un vœu sur Parcoursup pour intégrer le parcours Sciences du CPES d’Henri IV ont reçu une proposition d’admission.
Source : tableau réalisé à partir des données Parcoursup. Champ : France. Calculs de l’auteur.
L’effet établissement peut être positif sur le plan de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur dans les territoires, comme à l’Unistra[17] qui a innové en étant la première faculté non francilienne à ouvrir un CPES en 2021. Jouissant d’une sphère d’influence étendue née de sa position stratégique en plein cœur de l’Europe et de la qualité de ses partenariats internationaux, ce CPES est devenu l’un des plus sélectifs de province. Or, l’analyse globale de l’implantation hexagonale et ultramarine des CPES fait apparaître une géographie de l’excellence discriminante avec une « étoile massive » au centre et des « trous noirs » en forme de diagonale du vide.
Document 4 : Carte des CPES par académie en 2024.
Lecture : En 2024, on ne compte aucun CPES dans l’académie de Toulouse ou Dijon, 1 ou 2 dans celle d’Orléans-Tours ou à La Réunion et plus de 3 dans l’académie monodépartementale de Paris.
Source : carte réalisée par l’auteur à l’aide du logiciel Mapchart.
Si les CPES peuvent se prévaloir d’un label national, toutes les académies n’en accueillent pas, loin s’en faut. Il a là une carence à pallier si l’on veut que l’égalité des chances se décline au niveau spatial et pas uniquement social, même si les deux variables peuvent être reliées. Comme l’indique Frédéric Tallet, « Les bons résultats scolaires et au baccalauréat ainsi que le choix de filières plus sélectives dans l’enseignement supérieur sont des déterminants forts de la mobilité géographique. La catégorie sociale des parents joue aussi très positivement […], les étudiants de familles favorisées socialement ayant une plus grande propension à se déplacer pour leurs études supérieures[18]. » De là un paradoxe car si d’un côté il apparaît nécessaire d’offrir des formations sélectives au plus près du lieu d’habitation des bacheliers boursiers, de l’autre l’analyse des flux de candidats montre que les CPES à fort impact curriculaire sont aussi les plus centraux. Les CPES qui n’arrivent pas à faire le plein d’élèves (Besançon, Valenciennes[19]), symboles de cette France périphérique, reflètent cette difficile coexistence entre les universités de proximité à l’aire d’influence régionale et les universités intensives de recherche au rayonnement européen.
À cet égard, les néo-bacheliers, issus de QPPV[20] ou de ZRR[21] doivent faire l’objet d’une égale attention. Cela implique d’être proactif sur les conditions matérielles d’études. Catherine Moisan souligne à juste titre la nécessité « de mettre en place un cadre de discussion pour pouvoir réguler l’offre de formation à l’entrée de l’enseignement supérieur, afin qu’elle soit mieux répartie sur le territoire, qu’elle réponde mieux aux besoins économiques et aux besoins d’élévation du niveau de formation et de qualification de tous les jeunes[22]. » Or, les enjeux de territorialisation, louables en captant de très bons boursiers locaux, peuvent dans le même temps faire le jeu d’autres candidats, aux capacités scolaires identiques mais aux capacités de projection géographiques tout autres. Un trio de sociologues a ainsi démontré, sur la base d’analyse des logiques de déplacement des élèves visant les meilleures CPGE, que les enfants des ménages CSP+ visent principalement « les établissements comptant davantage de reçus aux concours des très grandes écoles, grâce à la mobilité spatiale permise par leurs ressources ; alors que les élèves de même niveau scolaire, aux ressources financières réduites, choisissent la proximité[23]. »
Ces questions de justice spatiale, loin d’être scotomisées, mobilisent beaucoup d’acteurs afin que les critères d’accès à certains CPES ne soit pas rédhibitoires, notamment en matière d’aides financières et de mobilité. En région parisienne, cet obstacle commence à être pris à bras le corps : compléments de bourse, exonération de droits d’inscription, repas à un euro… sont autant de gestes forts mis en avant pour les CPES boursiers d’Henri IV. Citons aussi le cas du LIPPS[24] qui, en allant très loin dans la facilitation de l’accueil et de la prise en charge de ses élèves CPES en leur réservant des places d’internat avec pension complète, y compris le week-end, fournit un bon exemple de prise en compte des publics vulnérables en prise avec la problématique épineuse du logement.
Si de telles initiatives concrètes, en tentant de conjuguer diversité sociale et méritocratie républicaine, excellence et égalité des chances, sont heureuses, ces mesures incitatives sont toutefois loin d’être suffisantes pour faire évoluer la cartographie mentale des jeunes issus de milieu défavorisé en position de réussite scolaire mais en difficulté sociale. Par autosélection, ils ont tendance à limiter leurs ambitions en postulant à des formations de proximité pour des raisons de praticité et de plafond de verre intériorisé[25]. L’accompagnement de ces publics par des acteurs de l’éducation bien formés et la qualité de l’information délivrée dans leur direction sont alors déterminants pour diminuer l’inégalité face à l’orientation au moment clé de ces choix de parcours.
Christophe CHARPIOT
Psychologue de l’Éducation nationale, académie de Lyon
[1] Sartre, J.-P. (1948). Qu’est-ce que la littérature ? Éditions Gallimard, 2008, p. 290.
[2] « Le » CPES ne doit pas être confondu avec « la » CPES (Classe préparatoire aux études supérieures) visant à remettre à niveau, en un an, des élèves issus de milieux sociaux défavorisés en vue d’intégrer une CPGE.
[3] Gellé, G., Propos recueillis par Boissinot, A. et Moulin Civil, F. (2024). Le bac – 3 / bac + 3 et les nouveaux cursus universitaires… en question(s). Administration & Éducation, N° 182(2), p. 63.
[4] Moisan, C. (2024). Parcoursup : le grand méchant loup ? Administration & Éducation, N° 182(2), p. 41-49.
[5] Commission d’examen des vœux.
[6] B.O. n°4 du 26 janvier 2023 relatif aux Cycles pluridisciplinaires d’études supérieures.
[7] Entretien intégral accessible sur le site du lycée international de Palaiseau Paris Saclay (LIPPS). https://www.lipsp.fr/le-post-bac-au-lipps/
[8] B.O. n°4 du 26 janvier 2023.
[9] Collège des Hautes Études Lyon Sciences.
[10] Diplôme de 1er cycle délivré par l’ENS Lyon (si le CPES recouvre le volet formation, la certification, elle, incombe à l’établissement partenaire).
[11] Seul le CPES de La Réunion admet des bacheliers technologiques, à hauteur d’un tiers. Données : Parcoursup.
[12] Collobert, E. (2002, 8 novembre). Savoir(s), Le quotidien de l’université de Strasbourg.
[13] Rapport d’évaluation de l’université PSL, 2025, HCERES, p. 35.
[14] Tallet, F. (2024). Les grandes évolutions de l’enseignement supérieur vues par la statistique publique : dynamique des effectifs, mobilité, insertion professionnelle. Administration & Éducation, N° 182(2).
[15] Plus de 6 500 demandes en tout pour les CPES du complexe PSL/Henri IV.
[16] Ratio entre le nombre de candidats ayant demandé la formation CPES et le nombre de candidats ayant reçu une proposition d’admission (qu’ils ont acceptée ou refusée). Ce « taux de sélection » n’est donc pas à proprement parler un taux d’admission.
[17] Université de Strasbourg.
[18] Tallet, F., op. cit., p. 34-35.
[19] 14 inscrits aux lycées Hugo et Watteau pour des capacités d’accueil respectives en CPES de 24 et 25 places.
[20] Quartier prioritaire politique de la ville.
[21] Zone de revitalisation rurale.
[22] Moisan, C. (2024). L’offre de formation, un déterminant de l’accès à l’enseignement supérieur. Administration & Éducation, N° 182 (2), p. 73.
[23] Michaut, C., Lanéelle, X. et Dutercq, Y. (2021). Les stratégies socio-spatiales des candidats aux classes préparatoires aux grandes écoles. Formation emploi, n° 155(3), p. 97.
[24] Lycée international de Palaiseau Paris Saclay.
[25] Odry, D. (2021). L’orientation dans le système éducatif. Mardaga.