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Débats et Propositions

“Chefs chahutés : le cas des contestations de directions scolaires” par Cécile SENABRE

Chefs chahutés : le cas des contestations de directions scolaires

 

Cécile SENABRE

 

            À l’occasion d’un Diplôme universitaire de Pilotage des organisations publiques (dit D.U.P.O.P.), effectué dans le cadre d’un partenariat entre l’IH2EF et l’Université de Poitiers, j’ai mené un travail de recherches sur la conflictualité en EPLE.

Ma problématique était « Que nous apprend l’expérience subjective des chefs d’établissement contestés ? ». En d’autres termes j’ai étudié pendant quelques mois les cas d’hyperconflits en collège ou en lycée, quand un mouvement de contestation de l’autorité du chef prend progressivement de l’ampleur, gagne l’ensemble de la communauté éducative et parvient même à paralyser le bon fonctionnement d’un EPLE. N’est-il pas vrai que, dans nos métiers, nous entendons régulièrement parler de tel ou tel établissement, où « ça ne se passe pas bien » entre un chef et ses équipes, à tel point que parfois la presse locale s’en fait aussi l’écho ?

            Je n’ai pas cherché dans mon travail à établir une quelconque exactitude scientifique sur les causes de ces phénomènes ; je n’ai pas enquêté non plus sur le ressenti de toutes les parties prenantes de tels conflits, ce qui aurait été utile pour dégager une vision panoramique par exemple ; je n’ai pas davantage cherché à comprendre qui était responsable, ni de quoi, ce n’était pas mon propos. Non, je souhaitais juste recueillir une parole trop peu entendue me semble-t-il dans ce cas-là : celle du chef chahuté.

            J’ai donc récolté le témoignage des personnels de direction qui avaient été rendus officiellement responsables de la situation ; et je leur ai posé toujours les trois mêmes questions : Comment avez-vous traversé cette crise ? Comment avez-vous fait face ? Qu’en avez-vous retenu ?

            Si la demi-douzaine de collègues que j’ai rencontrée à cette occasion m’a parlé avec une sincérité et un courage que je ne peux que saluer, je dois cependant exprimer ma sidération devant la violence de ce qu’ils ont vécu. En effet ces hyperconflits en établissement aboutissent souvent à une mise en accusation publique, voire un lynchage médiatique pour les collègues concernés. De même ces crises se terminent quasi-systématiquement par le départ de la direction (mutation sur un autre poste, suspension, éviction). A l’appui de ma réflexion, je convoquais un article de Rémi Casanova, publié il y a quelques années déjà et que je trouvais fort passionnant, car notre auteur y sonde ce qui se cache dans l’inconscient collectif du corps enseignant. (« Un chef d’établissement bouc émissaire : itinéraire d’une victime volontaire ? » Spirale, Revue de recherches en éducation, 2019)

            Pour lui des mécanismes souterrains très puissants s’expriment dans ces rituels d’exclusion de la tête de la direction, qu’il séquence invariablement en quatre étapes : discrimination-stigmatisation-affaiblissement-éviction du perdir. Or notre auteur ne conclut pas pour autant de tels épisodes que leur gravité est préoccupante, car pour lui la violence de ce qui se passe dans ces moments-là n’a rien à avoir avec le cœur du métier d’enseignant, à savoir la pédagogie. Il tient un propos rassurant, qui garantit la bonne santé de notre institution scolaire. C’est là que je me permets de ne pas être tout à fait d’accord avec lui.

            En effet ce qui m’est apparu prégnant dans les témoignages recueillis, c’est le rapport de force qui s’installe entre équipes enseignantes et équipes de direction. Ce rapport de force n’est pas sans évoquer les problèmes de gestion de classe. De même qu’on exclut de cours un élève perturbateur, de même on exclut de son établissement un chef contesté. A l’échelle d’une salle de classe, ou de l’enceinte d’un EPLE, l’exclusion paraît de toute évidence dans notre culture professionnelle comme un remède de choix. Pour qui souhaite rétablir l’ordre, exclure reste une solution aussi expéditive qu’efficace. Elle empêche cependant le dialogue, l’accompagnement, le partage de responsabilités.

            Les embarras liés dans le métier d’enseignant à la gestion du groupe d’élèves représentent peut-être encore un impensé institutionnel. Dans les circulaires, programmes disciplinaires et autres textes officiels, l’élève est souvent évoqué dans sa dimension singulière, plus rarement dans son appartenance au groupe. Or c’est sous cette modalité que l’enseignant appréhende aussi chacun des jeunes qu’il a face à lui. Dans les revendications enseignantes on devine, me semble-t-il, une absence de prise en compte de cette difficulté du métier liée précisément à la gestion du groupe, voire une absence de reconnaissance quant à la pénibilité engendrée par la conduite de ce collectif instable qu’est la classe.

            Manque d’autorité du maître. Manque d’autorité du chef. Dans un cas comme dans l’autre, quand est prononcée l’exclusion, ce qui se dit en creux, c’est qu’une autorité n’a pas trouvé à s’exercer. Par conséquent, si l’on considère que le cœur du métier d’enseignant, c’est aussi de tenir sa classe, alors l’éviction d’un chef d’établissement, rendu bouc-émissaire des désordres et des dysfonctionnements de sa propre organisation, nous paraît plutôt un indicateur éloquent. Et il témoigne – regrettons-le- de la mauvaise santé de notre institution scolaire.

            En croisant tous les témoignages de perdirs que j’ai pu recueillir, je pourrais synthétiser la façon dont ils ont traversé ces crises à l’aide de trois mots simples : souffrance, solitude et silence.

Chaque mot convoquant singulièrement les deux autres, car plus le silence et la solitude sont grands, plus aiguë est la souffrance. Et plus la souffrance est intense, plus la solitude et le silence s’installent.

            Souffrance : dans ces hyper-confits la violence qui explose est parfois extrême. Elle a des conséquences aussi réelles que dramatiques sur la situation personnelle et familiale des collègues impactés, voire sur leur santé physique et psychologique. Cela est difficile à accepter à l’heure où la qualité de la vie et des conditions de travail s’est installée (fort heureusement !) dans nos environnements socio-professionnels.

            Solitude : l’isolement que les chefs contestés expérimentent dans ces moments de crise est immense ; le sentiment d’être lâchés par les collègues, mais également abandonnés par leur institution, est profond. Cette impression de solitude alimente dans leur discours une aigreur vis-à-vis de la hiérarchie et les place également dans une sorte de position schizophrénique, puisqu’ils représentent aux yeux de tous une institution contre laquelle ils entretiennent intimement une rancœur tenace.

            Silence : c’est certainement ce qui m’a le plus troublée. Les collègues chahutés ne se sont sentis à aucun moment suffisamment entendus. Comme si leur version des faits ne leur avait été jamais réellement demandée. Plus grave, ils m’ont dit ne pas avoir eu de retour, ni sur ce qui leur avait été reproché exactement pendant l’explosion de la crise, ni sur ce qui avait été ensuite établi au plus haut niveau, une fois celle-ci résorbée. Ils gardent de ces épisodes une série d’incompréhensions, de questionnements, de doutes.

            Pour le dire autrement le silence qui entoure ces différents vécus marque une absence patente d’accompagnement. Or le silence rend difficile la reconstruction personnelle et entrave le développement professionnel. Car il faut pouvoir parler à voix haute, mettre en mots pour autrui ce qu’on traverse et déposer au creux d’une oreille attentive ce qui ne va pas, pour rendre clair à soi-même ses propres empêchements, progresser dans sa posture et consolider son identité. Ce silence est de plus particulièrement encombrant à l’heure où les formations à la gestion de crise ne cessent de nous vanter les mérites du retour d’expérience, les bienfaits du Retex. Mais quel Retex dans ces situations d’hyperconflit en établissement ? Pour le perdir ? Pour les équipes ? Aucun. Le chef est parti. Une page a été tournée. Et c’est tout.

            Certes les collègues ont tiré des leçons de ces douloureux épisodes. Ils l’ont fait de façon plus ou moins consciente. On peut même affirmer que cette expérience de la crise et de la contestation de leur autorité a constitué une étape importante de leur cheminement professionnel ; ils ont appris bon an mal an l’art de la transgression. Touchant du doigt la complexité de leur tâche, ils ont saisi l’importance d’oser parfois le pas-de-côté et même de s’octroyer dans certains cas le droit de ne pas obéir. Mais à quel prix ! (Sur le sujet du développement professionnel du perdir, on peut se reporter au très éclairant article de L. Progin, L. Ria, M. Lechat et P.E. Raffi : « Devenir cadre scolaire en France : une mise à l’épreuve ? Enquête sur les trois premières années d’entrée en fonction », 2022).

            Au terme de mon analyse il m’est apparu que notre institution, si elle voulait être réellement accompagnante (mais une institution, c’est-à-dire un appareil social qui édicte des normes et des classifications, peut-elle être accompagnante ?), devrait prendre très au sérieux ces épisodes d’hyperconflits en EPLE, afin de les considérer, non pas seulement comme des dysfonctionnements problématiques, appelant des solutions radicales, mais bien plutôt comme des occasions uniques, pourvoyeuses inattendues d’apprentissages individuels et collectifs.

            Ainsi des dispositifs pourraient être mis en œuvre dès les premiers signes de crispations et bien avant que le conflit n’éclate, voire pourraient être proposés systématiquement de façon préventive. Nul doute qu’ils permettraient de réguler les tensions inter-personnelles et favoriseraient le développement professionnel à différents niveaux :

  • à un niveau individuel : accompagner les chefs, c’est-à-dire leur proposer des supervisions multiformes (tutorat, coaching), promouvoir la pairagogie (groupes de travail, groupes de secteur), mais surtout encourager beaucoup plus fortement qu’aujourd’hui la réflexivité (analyse de pratiques professionnelles, co-développement, qui sont par ailleurs des modalités puissantes pour créer des cercles d’appartenance et lutter contre l’isolement) ;
  • à un niveau collectif : mettre en place de vrais circuits de médiation en établissement.

       La médiation, levier puissant d’amélioration et de régulation dans nombre d’entreprises privées, est encore un mot absent du vocabulaire de notre ministère. Ou plus exactement il ne recouvre pas le même sens chez nous qu’ailleurs : par exemple le médiateur académique donne un avis sur les litiges entre usagers et agents ; la médiatrice de l’éducation nationale est saisie en cas de désaccord avec une décision administrative. Bref, quand nous parlons communément de médiation, ce n’est pas au sens où je l’entends ici : technique de dialogue social utilisée pour traiter en équipe des situations de conflits (micro ou macro) et aboutir à des solutions acceptées et constructives. Ainsi ce qui semble manquer dans le système scolaire actuel, c’est davantage une volonté institutionnelle d’accompagner par de telles techniques de médiation des collectifs en situation de crise. Sur ce sujet comme sur d’autres, le collectif qu’est un EPLE n’est pas suffisamment reconnu, ni pris en compte comme unité constitutive du travail et du développement de chacun.

            Pourtant, en déployant de tels dispositifs de médiation en établissement, l’institution enverrait le signal clair et fort que l’EPLE demeure à ses yeux le lieu premier de tout apprentissage individuel et collectif. Un collège ou un lycée qui traverse une crise de contestation de l’autorité n’en demeure pas moins une organisation apprenante, à ce titre capable d’amélioration et de résilience.

                                                                                   Cécile SENABRE

                                                                                   Principale de collège

                                                                                   Académie de Rennes

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“Comment les acteurs éducatifs réagissent-ils à l’augmentation de la violence en milieu scolaire ?” Par Antonin CODUYS

Comment les acteurs éducatifs réagissent-ils à l’augmentation de la violence en milieu scolaire ?

Antonin CODUYS

 

Si le sujet de la violence en milieu scolaire constitue un thème d’intérêt depuis de nombreuses années[1], tant sur les plans politique, universitaire que statistique, la question de l’influence de cette violence sur les comportements professionnels des acteurs éducatifs demeure un espace d’interrogation. Partant d’une observation de terrain, nous nous appuierons sur notre expérience de chef d’établissement adjoint[2] dans le second degré[3] pour développer une analyse mêlant données statistiques et connaissances empiriques. On cherchera à identifier les effets provoqués par l’accroissement de la violence sur les acteurs éducatifs du second degré travaillant au sein des EPLE[4] (enseignants, personnels administratifs et techniques, personnels de vie scolaire, médico-sociaux et de direction). Corollairement, on s’interrogera sur les transformations qui peuvent s’engager dans les établissements scolaires pour lutter contre cette nouvelle conjoncture éducative. Pour ce faire, on s’appuiera sur l’analyse de l’augmentation de la violence en EPLE depuis une vingtaine d’année, dont l’ampleur dépasse probablement le cadre statistique, s’inscrivant dans un nouveau « climat d’agressivité scolaire » que l’on cherchera à décrire. En réaction à cette montée de la violence, les acteurs de terrain fourbissent de nouvelles stratégies professionnelles pour se protéger et répondre à ce défi sécuritaire

  

Une violence scolaire qui augmente et contribue à un « climat d’agressivité scolaire » au sein des EPLE

            La plupart des outils statistiques mis à la disposition du public tend à montrer un accroissement des faits de violence entre élèves d’une part, mais également vis-à-vis des personnels d’éducation du second degré[5]. Depuis sa création, en 2007, l’instrument statistique Sivis (Système d’information et de vigilance sur la sécurité scolaire) a permis au ministère de l’Éducation nationale de disposer de données reflétant les phénomènes de violence en milieu scolaire. Ce système d’information recueille et comptabilise le nombre d’incidents graves au moyen d’un ratio de 1 incident grave pour 1000 élèves. Les incidents graves sont classés dans une nomenclature qui regroupe trois types d’atteintes : aux personnes (violence verbale, physique, sexuelle…), aux biens (vol, dommage aux locaux ou au matériel ou aux biens personnels…) et à la sécurité (consommation de stupéfiants, port d’arme blanche ou objet dangereux, intrusion, atteinte à la laïcité, suicide ou tentative de suicide…). Grâce à cet indicateur, on peut ainsi observer l’évolution des phénomènes de violence scolaire depuis presque vingt ans. Lors de la première enquête Sivis, portant sur l’année scolaire 2007-2008, le nombre moyen d’incidents graves recensés s’élevait à 11,6 / 1000 élèves. En 2023-2024, le nombre a cru à 16 incidents graves / 1000 élèves, soit une augmentation de 37,93 % en l’espace de seize ans. Autre témoin de l’augmentation des faits de violence scolaire, l’apparition en 2020-2021 du premier degré (écoles maternelles et élémentaires) dans le panel Sivis à hauteur de 2,8 incidents graves signalés par les inspecteurs de l’éducation nationale (IEN) en charge des circonscriptions au sein des départements. En 2023-2024, les faits de violence dans les écoles ont atteint 5 incidents graves[6], soit une augmentation de 78,57 %. Par ailleurs, il convient de noter que les enquêtes Sivis ne traduisent les faits de violence que de manière partielle. En effet, comme l’a rappelé la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), qui s’occupe des statistiques au ministère de l’Éducation, dans une note d’information en mai 2025, « tous les incidents graves ne sont pas remontés dans Sivis »[7]. Il s’agit d’une estimation des faits de violence sur des bases déclaratives réalisées par les chefs d’établissement, puis traitées par les services du ministère. Ces données ne représentent donc que la partie émergée de la violence en milieu scolaire.

            Pour compléter son système de recueil et d’estimation des incidents graves, le ministère de l’Éducation nationale a déployé en 2011 des enquêtes nationales de victimation en milieu scolaire sous la forme de questionnaire pour évaluer la perception de la violence par les usagers. La première enquête interrogeant les personnels du second degré (public et privés sous contrat compris) a eu lieu en 2019[8]. Menée auprès d’un échantillon de 45 000 personnels (enseignants, personnels de direction, de vie scolaire, administratifs, techniques et médico-sociaux du service public), on apprend que 35 % des personnels interrogés déclarent avoir été victimes d’un refus ou d’une contestation d’enseignement au cours de l’année 2018-2019, 24 % de moqueries ou d’insultes, 12 % de menaces, 3,5 % de violence physique. Au regard des conditions de travail, environ 40 % d’entre eux s’estimaient en capacité d’exercer le même métier jusqu’à la retraite. Exprimés en valeur absolue et en les rapportant au nombre de personnels en EPLE dans le second degré (environ 500 000[9]), ces pourcentages seraient équivalents à 120 000 personnels victimes de moqueries ou d’insultes par an, 60 000 de menaces, 17 500 de violence physique par an.

            Au-delà des outils fournis par le ministère, on peut également s’appuyer sur l’enquête nationale de victimation initiée par l’Autonome de solidarité laïque (ASL)[10] en 2022 sous la direction de deux chercheurs, Benjamin Moignard et Eric Debarbieux, neuf ans après une première enquête du même type (2013)[11]. En 2022, l’échantillon de l’enquête a porté sur près de 9000 personnels du second degré qui ont été interrogés sur leurs conditions de travail. Il en résulte une augmentation significative du pourcentage de personnels insatisfaits du climat scolaire, passant de 37,8 % (2013) à 50,7 % (2022). Par ailleurs, 40,2 % des personnels déclarent avoir été injuriés par des élèves, tandis que les violences physiques déclarées demeurent rares (2 %). En outre, l’ASL publie chaque année un baromètre du climat scolaire qui met en lumière les dossiers juridiques suivis par l’association. Le baromètre de l’année 2023-2024, publié en février 2025, révèle « une détérioration notable du climat dans les établissements, avec une hausse des agressions, menaces et diffamations à l’encontre des professionnels de l’éducation »[12]. Dans les faits, 10 685 dossiers de suivi juridique ont été ouverts auprès des services de conseil de l’ASL en hausse de 7,05 % par rapport à 2022-2023, quand les dépôts de plainte ont augmenté de 25 % (509). Pour les dossiers les plus graves, entraînant une judiciarisation, soit 5500 dossiers environ, les agressions représentent 73,8 % des dossiers. Ainsi, toutes les données statistiques convergent vers un accroissement des phénomènes de violence au sein des EPLE du second degré, dont l’origine est majoritairement endogène, et qui contribue à la constitution d’un « climat d’agressivité scolaire ».

            Si l’on se penche sur les auteurs d’agression dans les différentes enquêtes que nous avons évoquées, on observe qu’ils appartiennent presque exclusivement à la communauté éducative[13]. D’après l’enquête Sivis de 2023-2024[14], les élèves représentent 91 % des auteurs d’incidents graves au sein des établissement scolaires, tandis que les familles des élèves constituent 4 % des auteurs d’incidents graves. De fait, les personnes extérieures à la communauté éducative ne représentent que 4 % du total des auteurs d’incidents graves. Si la violence extrême et traumatisante des actes terroristes (Samuel Paty, Dominique Bernard) a pu focaliser l’attention sur l’irruption de violences exogènes au sein des établissements scolaires, celles-ci demeurent en réalité marginales. Cette tendance est confirmée par le baromètre de l’Autonome de solidarité laïque 2024 qui montre que 48 % des dossiers ouverts de protection juridique professionnelle en 2023-2024 impliquaient des représentants légaux ou un proche de la famille des élèves[15]. Cette violence endogène ne se résume pas aux données statistiques, elle innerve les établissements scolaires en diffusant un « climat d’agressivité scolaire ». C’est ce que l’on observe désormais dans n’importe quel établissement scolaire (et dans de nombreux autres services publics). Il s’agit d’une violence essentiellement verbale qui se diffuse par un ton agressif, des propos défiants ou irrespectueux, des menaces, des intimidations, voire des insultes. Ce sont à la fois des contestations d’ordre pédagogique (à propos d’une évaluation, une pratique pédagogique, un contenu d’enseignement) qui dégénèrent en avanies de la part de familles d’élèves, et d’ordre organisationnel (à propos des allées et venues des élèves, des règles scolaires, des délais à tenir, les documents à fournir). Tous ces éléments, qui ne transparaissent pas dans les chiffres de la violence, participent d’un climat scolaire général qui se dégrade (à des degrés divers selon les établissements). Pour se protéger, les acteurs éducatifs s’adaptent et déploient sur le terrain de nouvelles stratégies d’action.

Pour lutter contre la violence scolaire, de nouvelles stratégies d’action locales.

            Comprendre les phénomènes de violence en milieu scolaire visant les personnels implique d’abord de définir une typologie des agressions subies. En reprenant l’étude des données statistiques déclaratives (enquête Sivis 2023-2024[16]), il apparaît que 38 % des 16 incidents graves déclarés dans le second degré pour 1000 élèves concernaient les personnels en tant que victimes, soit 6 incidents graves. 80 % de ces incidents graves sont liés à des atteintes aux personnes. Parmi ces atteintes, la moitié relève de violence verbale, un tiers de violence physique. La violence physique déclarée envers les personnels équivaut en moyenne à environ 1,6 incidents graves pour 1000 élèves. Si l’on rapporte cette donnée au nombre d’élèves du second degré (5 636 000 à la rentrée 2024), cela se traduit par environ 9000 incidents graves de violence physique envers les personnels sur l’année scolaire. Cette violence physique s’étend à travers un spectre allant de la bousculade aux coups portés. Point d’acmé, la violence physique ne représente qu’un fragment des agressions par son caractère assez exceptionnel (malgré des chiffres de plus en plus impressionnants). En revanche, la violence verbale s’avère nettement plus répandue. Dirigée contre les personnels, elle concernerait 2,4 incidents graves / 1000 élèves en 2023-2024, soit environ 13 500 incidents graves annuels. Il s’agit tout aussi bien d’insultes que de menaces. Intériorisée par de nombreux acteurs éducatifs, cette violence ne fait souvent pas l’objet d’une déclaration au titre d’un incident grave. De ce point de vue, le développement des ENT (environnements numériques de travail[17]) a certes permis une communication plus directe avec les enseignants et les personnels, mais il a aussi contribué à un effet de « familiarité » dans la communication lié à une plus grande accessibilité. Par son caractère instantané et sans intermédiaire, l’ENT décuple parfois des propos véhéments visant à contester une punition, une organisation ou une notation. Deux phénomènes concourent ainsi au renforcement d’un « climat d’agressivité scolaire » : d’une part, le manque de civilité dans les échanges avec les familles d’élèves, d’autre part, l’essor d’une indiscipline chronique chez les élèves. Il existe en effet un « continuum scalaire » qui s’étend de l’indiscipline (grade le plus bas) à la violence scolaire (grade le plus élevé), comme nous l’expliquions dans un autre article[18]. Par leur caractère protéiforme, les phénomènes d’agression s’intègrent dans une nomenclature complexe, alors même que les lieux et les temps des agressions demeurent bien identifiés au sein des établissements scolaires.

            En ce qui concerne les violences commises par des élèves envers des personnels, tous les lieux d’agression ont pour facteur commun la moindre présence des adultes. Il en va ainsi des couloirs et escaliers lors des interclasses. Lieux privilégiés du chahut, il arrive assez fréquemment que des conflits éclatent lorsqu’un adulte intervient, souvent seul, face à des élèves turbulents. Parfois violents verbalement, ces conflits dégénèrent en prises à partie s’appuyant sur un arsenal d’intimidation, allant du regard à la parole, parfois accompagné du geste. Ces espaces intermédiaires, isolés et moins surveillés, offrent un cadre propice à l’expression décontractée de provocations qui sourdent comme des défis posés à l’autorité des adultes de l’établissement. Paradoxalement, la cour de récréation, bien que surveillée par de nombreux adultes, concentre de nombreuses tensions à cause du flux d’élèves qui la traverse. Autre espace apparemment sous le contrôle de l’adulte, la salle de classe peut se transformer en huis clos périlleux quand la gestion de classe manque de fermeté. Sous l’effet d’une autorité vacillante, les tensions se transforment en violence verbale, quelquefois physique, parfois filmée. Dernière espace emblématique, la grille située à l’entrée de l’établissement, particulièrement en collège. Les règles d’entrées et de sorties y sont nettement plus strictes qu’au lycée. Entravés dans leur volonté d’aller et venir, certains élèves font valoir régulièrement leur énervement devant les limites qui leur sont posées et agressent verbalement le personnel de vie scolaire chargé de sécuriser le portail. C’est également un lieu régulier d’agressions émanant de familles d’élèves pour des motifs souvent futiles. Pour certaines familles, le portail de l’établissement n’est plus perçu comme une sécurité pour leur enfant, mais comme une privation de liberté. L’intérêt collectif ne fait plus sens au regard des impératifs individuels de chacun. Cette agressivité, qui est très fréquente, frappe également l’agent de loge qui accueille le public ; celui-ci doit régulièrement faire appel à d’autres adultes qui s’interposent. A cela s’ajoute des tentatives d’intrusion (plusieurs par an dans n’importe quel établissement) afin de chercher un enfant, rencontrer un personnel de vie scolaire ou de direction. Il faut en être conscient : le cadre protecteur et sanctuarisé des EPLE ne subsiste plus. C’est pourquoi l’entrée des EPLE (la grille, le portail) représente le plus grand défi sécuritaire des prochaines années. En complément de ces lieux typiques, il existe aussi des temps plus risqués, à l’instar des réunions parents-professeurs[19]. Lors de ces réunions, il n’est plus rare pour un chef d’établissement d’intervenir afin de faire cesser une entrevue qui s’envenime verbalement. C’est à cause du développement de ces agressions que les acteurs éducatifs sont conduits à développer de nouvelles stratégies d’adaptation.

            Au sein du corps enseignant, on observe depuis plusieurs années l’émergence d’une solidarité renforcée entre pairs sur les sujets de sécurité. On peut identifier ce phénomène comme un mécanisme de « co-protection », ou « protection réciproque », qui apparaît selon les circonstances. Par exemple, au moment des réunions parents-professeurs, de nombreux enseignants souhaitent recevoir les parents à deux dans la même salle afin de pouvoir agir réciproquement en cas de tension. Des stratégies de « co-protection » s’installent également dans les couloirs et les salles de classe. La stratégie de la « porte ouverte » de la salle de classe sert aussi à prévenir les collègues immédiats si nécessaire. Peu répandue il y a encore quelques années, cette stratégie se généralise désormais. Elle rompt pourtant avec le « mythe » du magister seul devant sa classe. En salle des professeurs, on ne compte plus les débriefings informels autour d’élèves ou de familles difficiles, ainsi qu’un partage de stratégies de communication (répondre ou ne pas répondre à un message, élaborer un texte commun, recevoir un parent à plusieurs, convoquer un élève devant l’équipe pédagogique). Si elles se recoupent dans de nombreux établissements, ces stratégies dépendent de la bonne cohésion des équipes enseignantes et ne permettent pas de répondre à tous les risques. D’autres personnels s’organisent également dans une démarche de protection mutuelle, en particulier les équipes d’assistants d’éducation. Par coutume, il s’agit d’équipe plus soudée et homogène qui n’hésite pas à s’épauler pour affronter des situations tendues, voire des crises (menaces, intrusions, insultes, violence physique). Ces stratégies de vie scolaire s’organisent notamment autour de la communication rapide des événements (par des groupes dédiés de messagerie), une connaissance accrue des lieux et des usagers, ainsi qu’une solidarité renforcée. Au sein d’un EPLE, plusieurs « cercles » de « co-protection » se chevauchent ainsi. Dans le meilleur des cas, ces stratégies de protection créent une émulation positive et amplifient la sécurité des personnels.

            Au regard de l’extension des faits de violence en milieu scolaire, la sécurité est devenue pour les chefs d’établissement un enjeu complexe qui mobilise une attention accrue. Disposant de responsabilités importantes[20], les moyens des chefs d’établissement sont encore assez limités et reposent sur trois piliers : la gestion des risques, le développement d’une communauté de « co-protection » et l’intervention lors d’une crise. Parmi l’arsenal dont disposent les chefs d’établissement, l’autorité que leur confère leur statut demeure un atout. Dès lors, il s’agit d’exposer la fonction pour assurer un ordre symbolique de manière à prévenir les tensions. Par exemple, il s’agit de se positionner régulièrement à l’entrée de l’établissement pour sécuriser l’entrée mais aussi pour recueillir toutes les informations utiles sur les événements de l’établissement. Au vu du contexte sécuritaire que nous connaissons, le temps des chefs d’établissement reclus dans une tour d’ivoire est révolu. En tant que garant de la sécurité, le chef d’établissement a également pour mission de développer les réflexes professionnels de tous les personnels. Par exemple, inciter les enseignants à le mettre en copie de messages menaçants, favoriser la pratique des dépôts de plainte en cas d’incidents graves, développer une grammaire standardisée et factuelle des rapports d’incidents. Toutefois, il n’est pas certain que toutes les stratégies évoquées permettent à elles seules d’enrayer l’augmentation de la violence envers les personnels. C’est pourquoi la pertinence d’un changement de paradigme sécuritaire au sein des EPLE dans les années à venir constitue autant un espace de réflexion qu’un défi collectif.

            Profondément marqués par les effets de l’augmentation de la violence scolaire au sein des EPLE, les acteurs éducatifs ont développé de nombreuses stratégies pour se protéger et s’adapter. Ces stratégies sont-elles suffisantes ? Au regard de la multiplication des plans ministériels, des rapports politiques et des outils statistiques, il apparaît nécessaire d’engager les établissements scolaires dans une transformation profonde de sécurisation collective. Lieux d’éducation traversés par un « climat d’agressivité scolaire », les EPLE devront probablement s’engager dans un aggiornamento à la hauteur du défi sécuritaire qui leur fait face afin de retrouver un cadre serein et former la Nation aux enjeux du monde qui vient.

Antonin Coduys

Proviseur adjoint

Lycée Marie de Champagne

Troyes (Aube)

 

[1] Songeons, par exemple, au rapport du sénateur Jean-Louis Lorrain publié en 1998 et intitulé « Les violences scolaires, ni fatalité, ni impuissance », mais également au rapport de Jacques Dupâquier commandé par l’Académie des Sciences morales et politiques en 1999 et intitulé La violence en milieu scolaire (PUF) ou bien encore aux travaux d’Eric Debarbieux.

[2] Principal adjoint au collège Jean Jaurès de Nogent-sur-Seine (Aube), puis proviseur adjoint du lycée polyvalent Marie de Champagne à Troyes (Aube).

[3] Du collège au lycée, par opposition au premier degré qui désigne l’école primaire (maternelle et école élémentaire).

[4] Établissements publics locaux d’enseignement (collèges, lycées, EREA).

[5] Secrétaires administratifs, agents territoriaux, assistants d’éducation, conseillers principaux d’éducation, infirmiers, assistants sociaux, psychologues scolaires, enseignants, personnels de direction.

[6] En tenant compte de l’ajout, pour l’année 2023-2024, des écoles privées sous contrat.

[7] Note d’information, « Les signalements d’incidents graves dans les écoles et établissements publics et privés sous contrat en 2023-2024 », n°25.28, mai 2025, DEPP.

[8] Note d’information, « Résultats de la première enquête de climat scolaire auprès des personnels du second degré de l’Éducation nationale », n°19.53, décembre 2019, DEPP.

[9] « L’état de l’École 2024 », n°34, novembre 2024, DEPP.

[10] Association loi de 1901, l’ASL compte environ 480 000 adhérents parmi les personnels de l’Éducation nationale. Elle vise à apporter une expertise juridique dans les contentieux rencontrés par les personnels tout en promouvant les valeurs républicaines.

[11] « A l’école de la défiance », sous la direction d’Eric Debardieux et Benjamin Moignard, Autonome de solidarité laïque, octobre 2022.

[12] « Baromètre du climat scolaire 2023-2024 », Autonome de solidarité laïque, février 2025, (https://www.autonome-solidarite.fr/articles/barometre-du-climat-scolaire-2023-2024/).

[13] Article L111-3 du code de l’éducation : « La communauté éducative rassemble les élèves et tous ceux qui, dans l’établissement scolaire ou en relation avec lui, participent à l’accomplissement de ses missions. Elle réunit les personnels des écoles et établissements, les parents d’élèves, les collectivités territoriales, les associations éducatives complémentaires de l’enseignement public ainsi que les acteurs institutionnels, économiques et sociaux, associés au service public de l’éducation ».

[14] Note d’information, « Résultats de la première enquête de climat scolaire auprès des personnels du second degré de l’Éducation nationale », n°19.53, décembre 2019, DEPP.

[15] « Baromètre du climat scolaire 2023-2024 », Autonome de solidarité laïque, février 2025, (https://www.autonome-solidarite.fr/articles/barometre-du-climat-scolaire-2023-2024/).

[16] Note d’information, « Les signalements d’incidents graves dans les écoles et établissements publics et privés sous contrat en 2023-2024 », n°25.28, mai 2025, DEPP.

[17] Site internet de l’établissement permettant, au moyen d’un accès personnel, de communiquer avec les enseignants et les personnels grâce à une messagerie et un annuaire intégrés. L’ENT représente une solution globale pour suivre les résultats scolaires de son enfant, ses absences, ses retards et d’obtenir toutes les informations liées au fonctionnement de l’EPLE.

[18] CODUYS Antonin, « Comment l’indiscipline défie-t-elle les apprentissages scolaires », AFAE, mai 2025 (https://www.afae.fr/debats/commentlindisciplinedefietellelesapprentissagesscolaires/).

[19] Moments d’échanges entre l’équipe pédagogique et les familles d’élèves qui ont lieu deux fois par an.

[20] « En qualité de représentant de l’État au sein de l’établissement, le chef d’établissement : […] 3° Prend toutes dispositions, en liaison avec les autorités administratives compétentes, pour assurer la sécurité des personnes et des biens […] 4° Est responsable de l’ordre dans l’établissement. Il veille au respect des droits et des devoirs de tous les membres de la communauté scolaire et assure l’application du règlement intérieur » (Article R421-10 du code de l’éducation).

 

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“Comment l’indiscipline défie-t-elle les apprentissages scolaires ?” par Antonin CODUYS

Comment l’indiscipline défie-t-elle les apprentissages scolaires ?

Antonin CODUYS

Grâce à la multiplication des évaluations nationales et internationales, le système scolaire français a pu mettre en exergue, de manière statistique et objective, les difficultés rencontrées par les élèves dans les apprentissages, en particulier dans le domaine des savoirs fondamentaux[1]. Cette réalité est observée par les enseignants et les personnels de direction depuis plusieurs années au sein des EPLE[2]. Si le constat est désormais partagé, la recherche de l’origine de ces difficultés s’avère plus incertaine : irruption massive des écrans, baisse de l’écrit, uniformité des apprentissages, hausse des violences scolaires, insuffisance de la différenciation, etc. En partant du terrain et en s’appuyant sur notre expérience de chef d’établissement adjoint d’un collège de 600 élèves[3], on cherchera à explorer les liens entre certains comportements préjudiciables d’élèves, que l’on regroupera sous la notion d’indiscipline, et la baisse des résultats scolaires. Au regard de l’évolution des modalités d’encadrement des élèves, cette notion peut constituer une clef d’entrée dans l’interprétation de l’affaiblissement des performances scolaires. Les comportements que nous allons évoquer sont largement reconnus sur le terrain, notamment au collège, sans qu’il existe, pour le moment, d’indicateurs idoines permettant d’en mesurer avec précision l’influence. Au-delà de la mise en apprentissage des élèves, l’indiscipline agit sur les enseignants en accroissant la pénibilité de l’exercice de leurs missions.

 

Une notion complexe et polysémique qu’il s’agit de redéfinir

            Mot polysémique, l’indiscipline tire son origine du substantif féminin latin disciplina, dont les premiers niveaux de sens sont éclairants : 1) action d’apprendre, de s’instruire ; 2) enseignement[4]. Ce faisant, la discipline apparaît d’abord comme liée à l’apprentissage, à l’instruction. C’est d’ailleurs ce sens que l’on retrouve aujourd’hui lorsqu’un professeur parle de « sa » discipline, c’est-à-dire son champ d’expertise dans le découpage de la connaissance. Il est utile de noter qu’un élève qui ne serait pas discipliné, dans cette acception, serait un élève qui refuserait d’apprendre. C’est au Moyen-Âge que le mot de discipline prend une tournure sémantique différente. Vers 1100 surgit une occurrence du mot dans le sens de « massacre » résultant d’un châtiment. Cette couleur violente et agressive s’installe ensuite dans le lexique religieux pour définir une « punition », un « châtiment corporel »[5]. Par métonymie, la discipline devient un fouet servant à la flagellation, c’est-à-dire un objet de souffrance qui sanctionne la non-observance d’une vie réglée.

            Aujourd’hui, le mot a conservé de cet héritage latin le sens premier d’instruction ; ainsi, dit-on, « se mettre en discipline », c’est-à-dire se mettre à l’étude, en situation d’apprentissage. Toutefois, un deuxième sens, résultant du premier, a pris une place prépondérante, distinguant une règle de conduite imposée à autrui. De ce fait, pour s’instruire, il importe de suivre une règle de conduite définie. Dans le contexte du lexique scolaire, le mot d’indiscipline se démarque toutefois d’une série de termes cherchant à identifier les infractions aux règles communes, parmi lesquels on trouve d’une part, l’incivilité et la violence, et d’autre part, le climat scolaire.

            En premier lieu, l’incivilité désigne le manque de savoir-vivre, de convenances, de courtoisie. Il dérive de l’adjectif latin incivilitas qui signifie « violent, brutal ». La civilité correspond donc au respect d’une série de normes morales qui encadrent la sociabilité, et marquent, par extension, un rapport à la qualité de citoyen, c’est-à-dire la civilité au sens latin. En milieu scolaire, l’incivilité s’apparente, par exemple, à des élèves qui ne disent pas bonjour, ne se lèvent pas en présence d’un adulte, répondent par des termes inadéquats, mettent les mains dans les poches, conservent leur bonnet à l’intérieur des bâtiments, etc. Le mot se met souvent au pluriel pour insister sur la répétition des infractions au code moral de la civilité.

            De la même façon, le mot violence, qui signifie d’abord la force exercée pour soumettre ou contraindre quelqu’un, se met généralement au pluriel, dans une deuxième acception, pour désigner les actes d’agression commis contre quelqu’un ou quelque chose. D’autres niveaux sémantiques soulignent la relation de la violence avec la psychologie de l’être humain, en particulier avec l’expression brutale de ses sentiments. On qualifie ainsi la violence comme une intensité (d’une pulsion, d’un sentiment, d’une conviction). La violence est toujours une force excessive, brusque et impétueuse. A l’école, elle qualifie un acte grave, soit qu’il soit verbal, soit qu’il soit physique, ou bien qu’il porte atteinte à des biens. Il peut faire l’objet d’un signalement via l’application « Faits établissement » à la discrétion du chef d’établissement. Comme l’incivilité, la violence n’a pas de rapport direct avec l’apprentissage. Si elles peuvent toutes deux s’exercer en classe, elles ne s’inscrivent généralement pas contre l’enseignement prodigué.

            Enfin, l’indiscipline se distingue de la notion de climat scolaire, laquelle reflète, avec une large perspective, le jugement que portent les parents, les élèves et les personnels sur un établissement scolaire. Cette notion renvoie ainsi à la qualité de vie à l’école. Elle peut concerner les normes, les buts, les valeurs, les relations interpersonnelles, les pratiques d’enseignement, le management, l’organisation de l’EPLE. Chaque établissement scolaire est engagé dans une démarche continue d’amélioration du climat scolaire à travers sept axes identifiés :

  • stratégie d’équipe ;
  • justice scolaire ;
  • pédagogie et relation éducative ;
  • coéducation ;
  • prévention et gestion des violences et du harcèlement ;
  • pratiques partenariales ;
  • qualité de vie à l’école.

Plus précise, la notion d’indiscipline entretient un rapport étroit avec l’enseignement ; elle est à la fois plus lisible, mais également plus invisible, car produisant ses effets principalement dans les salles de classe, loin des atteintes éducatives graves telles que la violence scolaire. Écueil qui empêche la mécanique scolaire de fonctionner, affaiblit l’égalité des chances et nuit aux performances des élèves, l’indiscipline est une notion transversale qui appartient au climat scolaire sans toutefois s’y limiter. Elle permet de penser un phénomène répandu au sein des établissements scolaires, en particulier au collège. Ces comportements réfractaires face au travail scolaire et à la mise en apprentissage, dans toutes ses dimensions, participent d’un climat d’indiscipline qui affecte en profondeur les EPLE.

Une donnée omniprésente au collège, mais partiellement mesurable

            Au sein des EPLE, l’indiscipline transparaît partiellement à travers les registres des punitions et des sanctions. Il faut cependant d’emblée écarter les faits graves de violence scolaire qui excèdent le périmètre de l’indiscipline. L’indiscipline s’exprime principalement au sein de la classe à travers des perturbations du déroulement du cours (interruption de la séance, insolence, bavardages, refus d’accomplir les tâches demandées, paresse, absence de matériel, cahiers non tenus proprement, etc.), mais également hors la classe (devoirs non faits, leçons non apprises). On peut donc estimer une partie de l’indiscipline à travers, par exemple, la récurrence des mots dans le carnet de liaison ou les heures de retenue.

Sur le plan national, la DEPP a mis en place depuis 2007 les enquêtes SIVIS[6] qui permettent de mesurer les faits graves déclarés chaque année par les chefs d’établissement. Parallèlement, depuis 2011, des enquêtes de victimation et de climat scolaire sont menées périodiquement. Entre 2011 et 2023, neuf enquêtes ont été réalisées. Dans la dernière enquête SIVIS parue en février 2024 (DEPP, NI, n° 24.04), 15,8 incidents graves pour 1000 élèves ont été déclarés au collège lors de l’année 2022-2023, en augmentation de 2,3 points par rapport à l’année précédente. L’enquête rapporte que 74% des incidents graves[7] ont lieu en collège. Par analogie, si la violence s’exerce principalement en collège, on peut estimer que l’indiscipline est également la plus marquée à cet échelon scolaire. Ce que confirment, par exemple, les données empiriques partagées entre pairs au sein des bassins d’éducation et de formation des chefs d’établissement.

Pour compléter l’enregistrement des faits graves, et mieux dépeindre le climat scolaire des EPLE, la dernière enquête de victimation (DEPP, NI, n° 23.08), parue en 2023, indique que 93  % des collégiens déclarent se sentir « bien » ou « très bien ». De la même manière, les données de la dernière enquête nationale contre le harcèlement scolaire sont assez rassurantes. 5 % des collégiens déclarent cinq atteintes ou plus sur le questionnaire. Ce qui rejoint les 6,7 % de collégiens se déclarant victimes de cinq violences ou plus dans l’enquête de victimation. Cependant, ces enquêtes, très utiles, ne rendent compte que partiellement de l’indiscipline. Elles visent surtout les relations interpersonnelles entre élèves et ne relatent pas les interférences du cours. Elles ne traitent donc pas de l’indiscipline en tant qu’objet d’étude.

Au sein des établissements scolaires, ce que l’on observe est la sous-comptabilisation de l’indiscipline dans les punitions et les sanctions. Devant la proportion d’élèves qui n’effectuent pas leur travail, qui ne possèdent pas leur matériel, qui n’exécutent pas les tâches demandées, ce sont seulement les faits les plus saillants qui sont punis (bavardages répétées, insolence, travail non réalisé à plusieurs reprises, etc.). Au bas de l’échelle de l’indiscipline, les phénomènes d’incivilité ne sont pas non plus mesurés. Ils constituent pourtant un terreau fertile qui nuit à la relation de respect envers les adultes. Comme la discipline contribue à une inhibition générale des élèves, à la plus grande maîtrise de leurs émotions, son affaiblissement contribue, par symétrie, dans le haut du spectre, à une répercussion sur le nombre de faits graves. Incivilités, indiscipline, violences, c’est toute une relation scalaire, interdépendante, qui se met en place et qui affecte les collèges, tant au point de vue des élèves que de leurs professeurs.

Une réalité au cœur du « malaise enseignant » et qui nuit aux performances scolaires

             Alors que le bien-être des personnels est légitimement devenu une priorité institutionnelle[8], certains indicateurs ont identifié un « malaise enseignant », parmi lesquels la baisse des postulants aux concours de recrutement[9] et l’augmentation des démissions[10]. Plusieurs explications ont été avancées : les niveaux de salaire, le système des mutations, la hausse des violences scolaires, le manque de reconnaissance sociale, etc. A cela peut s’ajouter le facteur de l’indiscipline chronique. Selon le chercheur Pierre Périer, l’indiscipline favorise l’essor d’une « imprévisibilité pédagogique »[11], c’est-à-dire la nécessité pour les enseignants de devoir sans cesse « bricoler » pour réajuster le contenu d’une séance face à un auditoire indiscipliné. Dès lors, il devient malaisé d’anticiper sur la séance suivante, et même au-delà, de construire une progression pédagogique cohérente. Sans raison apparente, c’est ainsi qu’une séance « marchera » tandis qu’une autre, construite selon les mêmes préceptes, signera l’impossibilité d’enseigner. Cette « imprévisibilité pédagogique », facteur de pénibilité accrue, se traduit également, selon Pierre Périer, par l’impératif de « négocier » avec les élèves pour faire avancer la marche du cours et les placer en situation d’apprentissage. Le désarroi de certains enseignants face à l’indiscipline, que l’on peut observer au sein des établissements scolaires, aggrave un malaise sous-jacent et renforce un sentiment de perte de sens dans l’exercice du métier.

            Du côté des élèves, le climat d’indiscipline affecte les performances scolaires, tant en nombre d’heures de cours perdues, qu’à travers le relâchement du travail personnel. Dans ce contexte, on constate l’influence de l’encadrement familial pour recentrer l’élève sur les savoirs scolaires. De ce fait, l’indiscipline agit tel un discriminant social en privant les élèves les moins accompagnés d’un climat propice aux apprentissages, érodant ainsi la mission première de l’École républicaine en matière d’égalité des chances (article L111-1 du Code de l’éducation). En classe, l’indiscipline prospère sur l’effet bien connu de l’imitation : lorsque plusieurs élèves négligent les tâches à réaliser, un groupe plus important finit par adopter cette nouvelle coutume d’inapplication. L’indiscipline affecte ainsi la progression des apprentissages sur deux plans : d’une part, elle multiplie, au sein de la classe, les sources de distraction pendant le cours, d’autre part, elle limite l’intensité et la qualité du travail personnel de l’élève.

 

            À travers cette réflexion, nourrie par l’observation et traversée de multiples questionnements, on aura mis en lumière les relations sémantiques entre l’indiscipline et le travail scolaire pour faire émerger l’une des causes des difficultés des élèves face aux apprentissages. Difficilement mesurable, l’indiscipline ne relève pas d’outils traditionnels tels que les enquêtes SIVIS ou les enquêtes locales de climat scolaire. Le déploiement de nouvelles méthodes d’observation en classe pourra s’avérer utile afin de circonscrire ce phénomène avec précision, mais aussi d’établir un lien incontestable entre l’augmentation de l’indiscipline et l’affaiblissement des performances scolaires. Il s’agit d’un enjeu de premier ordre, car, outre la baisse des performances scolaires, le climat d’indiscipline ne favorise pas des conditions d’apprentissage idéales pour les élèves les plus fragiles. Clef de compréhension des enjeux de l’École d’aujourd’hui, la réflexion sur l’indiscipline peut servir à construire un socle à partir duquel renforcer les notions citoyennes de respect, de tolérance, de dialogue et d’empathie.

Antonin CODUYS

Principal adjoint

Collège Jean Jaurès à Nogent-sur-Seine (Aube)

 

[1] À titre d’exemple, les dernières données de PISA 2022 en « culture mathématiques » sur un panel d’élèves de 15 ans révèlent que, si la France s’établit avec 474 points dans la moyenne des pays de l’OCDE (472 points), ses résultats sont en forte baisse par rapport à 2012 (495 points) et que la part des élèves en difficulté augmente de 22,4 % à 29 %.

[2] Établissements publics locaux d’enseignement (second degré).

[3] Recrutement urbain et rural. IPS de 96,7. Indice d’éloignement de 106,1. Taux d’élèves boursiers de 25%. Milieux sociaux très favorisé et favorisé (29,5%), moyen (23,6%) et défavorisé (47%).

[4] Définition issue du dictionnaire français-latin, Le Grand Gaffiot, Hachette, 2000.

[5] Cette définition, ainsi que les suivantes, sont tirées du Trésor de la langue française informatisée (www.cnrtl.fr).

[6] Système d’information et de vigilance sur la sécurité scolaire.

[7] Les incidents graves désignent les violences exercées sur les personnes (verbales, physiques) ou sur les biens, ainsi que d’autres atteintes (laïcité, racisme, etc.).

[8] Comme en témoigne, par exemple, le sujet du concours interne des personnels de direction de 2023, à travers lequel il s’agissait d’élaborer une note de synthèse à partir d’un dossier « pour optimiser l’implication, la collaboration et le bien-être des personnels » au sein d’un EPLE.

[9] De 36 949 candidats inscrits et 19 342 présents à l’admissibilité au CAPES externe en 2017 à 20 755 candidats inscrits et 11 405 présents en 2024, soit deux baisses respectives de 43,83 % et de 41,04 %.

[10] De 364 départs d’enseignants en 2008-2009 à 2836 départs en 2021-2022, soit une hausse de 679 %, d’après le rapport « Enseignement scolaire » de M. le Sénateur Olivier Paccaud, rapporteur spécial (annexé au projet de loi de finances 2024).

[11] Pierre Périer, « L’ordre scolaire dans la classe : une négociation continue » in Négociations, 2012/2, n°18.

 

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“Sélectivité peut-elle rimer avec diversité ? Les enjeux de la formation CPES” par Christophe CHARPIOT

Sélectivité peut-elle rimer avec diversité ? Les enjeux de la formation CPES

Christophe CHARPIOT

 

 

« Une issue, ça s’invente [1] ».

Jean-Paul Sartre

 

Les Cycles pluridisciplinaires d’études supérieures (CPES), mis en place de façon coordonnée à la rentrée 2022, entendent combiner les meilleures prérogatives des classes préparatoires et de l’Université. Tournés résolument vers l’excellence, se voulant à la fois sélectifs et ouverts socialement, les CPES constituent un pool de formations post-bac inédit et porteur, quoiqu’encore insuffisamment identifiés. L’article en décrypte les fondements pédagogiques avant de questionner les inégalités socio-spatiales d’accès aux CPES les plus prestigieux. Cet état de fait, garant d’un certain ordre scolaire, tend à entrer en contradiction avec les objectifs assignés d’égalité des chances qui ont pourtant présidé à la création de ces nouveaux cursus.

 

Conscient de l’écueil qui guette l’écrivain engagé d’être sommé de choisir entre une URSS au communisme délétère et une Amérique mue par un capitalisme à tout crin, Sartre milite, dans un texte d’après-guerre aux accents étonnamment prémonitoires, pour qu’une issue créative permette de dépasser ce dilemme. Cette sortie par le haut est possible. Et pour le philosophe, elle s’appelle l’Europe. Bon nombre de lycéens d’aujourd’hui, en passe de réfléchir à une orientation post-bac, retrouveront peut-être dans cette métaphore géopolitique les termes d’une opposition entre les classes préparatoires d’une part et l’Université de l’autre, deux « blocs » antagonistes que l’opinion a souvent renvoyés dos à dos. En quoi les Cycles pluridisciplinaires d’études supérieures (CPES), en hybridant deux modèles de formations jusque-là antithétiques, signent-ils une petite révolution pédagogique et institutionnelle ? Leur déploiement actuel et les moyens mis en œuvre permettent-ils de satisfaire pleinement aux objectifs de démocratisation affichés par le législateur ?

 

Égalité des chances et réussite de tous : les deux brins d’ADN du CPES

Alors que nous siégions dans un conseil de classe de Terminale, la proviseure adjointe a interrogé les vœux d’orientation d’une élève venant d’obtenir les félicitations. Personne à vrai dire ne fut en mesure d’expliciter ce qu’était cet étrange « CPES » demandé par cette élève ayant obtenu 19 à l’écrit du bac de français quelques mois auparavant… Nous avons alors déplié l’acronyme et brièvement expliqué de quoi il retournait au juste. Les Cycles pluridisciplinaires d’études supérieures proposent un cursus exigeant de trois ans permettant d’obtenir le grade de licence ou équivalent[2]. En ce sens, ils prennent place dans la constellation des « nouveaux cursus universitaires[3] » tout en s’inscrivant parfaitement dans la dynamique bac -3 / bac +3 qui fluidifie la logique de parcours amorcée dès le lycée.

Les candidatures sont à renseigner sur Parcoursup et font l’objet d’une sélection sur dossier où les résultats scolaires (notamment ceux en mathématiques) sont scrutés à la loupe et croisés avec la fiche Avenir du lycée d’origine. Les activités complémentaires des élèves et leurs centres d’intérêt, valorisés dans leur lettre de motivation, revêtent également une grande importance. Au passage, Parcoursup n’est pas le « grand méchant loup[4] » que d’aucuns voudraient faire croire. S’il y a bien un algorithme permettant un premier tamisage des candidatures, il incombe ensuite à la CEV[5] de chaque CPES de prendre la main en compulsant les dossiers, notamment ceux des lycéens boursiers « qui bénéficient à ce titre d’une attention soutenue dans la procédure d’examen[6] ». Alors que bon nombre de formations sélectives de l’enseignement supérieur peinent à recruter 10 voire 20 % d’élèves sur la base de critères sociaux, les CPES ont vocation à amplifier l’empan de recrutement en visant 40 % d’élèves boursiers dans leurs rangs, objectif ambitieux qui tranche avec les pratiques usuelles. L’une des caractéristiques des CPES est en effet la recherche d’une mixité sociale par l’ouverture des profils aux élèves méritants, quelle que soit leur origine sociale ou géographique. En l’occurrence, l’ancienne rectrice de l’académie de Versailles, Charline Avenel, a exprimé de manière explicite l’importance de faire de l’égalité filles-garçons le fer de lance du CPES de Paris-Saclay : « C’est un parcours qui est spécifiquement fait pour vous, les jeunes femmes, qui voulez penser le monde pour mieux le transformer[7]. »

« L’égalité des chances ressortit également à la mise en place d’un cadre favorisant la réussite de tous[8] » précise le bulletin officiel qui acte la montée en puissance du dispositif à l’échelle nationale. C’est la raison pour laquelle un soin particulier est mis en CPES dans l’accompagnement de chaque étudiant (par le tutorat, le mentorat) au sein d’une structure qui cultive le sentiment d’appartenance à une même promotion par des sorties culturelles et une vie associative riche, gage de cohésion, de solidarité et d’entraide.

Quant à « l’après CPES », quasiment 100 % des étudiants poursuivent leurs études dans la foulée. Si l’entrée dans des masters sélectifs à l’université demeure le débouché naturel, certains élèves peuvent espérer intégrer une grande école via une admission sur titre voire un concours.

Document 1 : Devenir des étudiants des CPES Sciences, Humanités, Société de l’université Paris Sciences et Lettres (PSL, promotion 2024)

Lecture : 48% des étudiants de la promotion CPES 2024 de PSL poursuivent leurs études en intégrant un master sélectif en France, 15 % sont admis dans une ENS et 14 % dans une école d’ingénieurs.

Source : https://psl.eu/formation/cpes-psl-henri-IV

Du côté de Lyon, les responsables, grâce au partenariat fructueux tissé avec le CHEL[s] local[9], tablent sur une poursuite d’études à l’ENS, Sciences Po Lyon ou Centrale pour un tiers des effectifs de CPES au terme de leur Bachelor[10]. En dépit du manque de recul et de statistiques disponibles eu égard au caractère récent des CPES, il serait maintenant intéressant de recueillir plus de données, d’investiguer davantage et de connaître la proportion d’élèves CPES boursiers, et notamment de boursières, dans les poursuites d’études relevant de l’excellence académique (typiquement les grandes écoles), la vraie réussite de tous se mesurant moins à l’entrée des dispositifs de formation qu’à leur sortie. On pourrait de la sorte évaluer la capacité des CPES à concrétiser une mobilité scolaire ascendante ou bien à seulement translater le couperet de l’élitisme selon le principe d’une « distillation fractionnée ».

 

Le CPES : une formation sélective alliant le meilleur de la « prépa » et de l’Université

L’intrication entre le monde des CPGE et le milieu universitaire constitue l’atout maître des CPES, une marque de fabrique qui se matérialise par un glissement progressif des lieux de formation entre le lycée et l’établissement d’enseignement supérieur. La transition pédagogique entre l’organisation en vigueur en classe préparatoire et celle de l’université est pensée selon un continuum, sur un mode « fondu enchaîné ». D’ailleurs, les équipes pédagogiques sont le plus souvent composées à parts égales de professeurs de CPGE et d’enseignants-chercheurs.

Document 2 : Schéma illustrant l’organisation pédagogique-type d’un CPES.

Source : Lycée Stanislas, Cannes.

 

Malgré l’enseignement de matières traditionnelles, le dialogue interdisciplinaire comme culture du décloisonnement anime la logique interne de tout CPES. Ainsi à Lyon, les étudiants du parcours Économie/société peuvent suivre les cours de bio-géosciences du parcours Sciences et réciproquement.

Mais la formation CPES, en cultivant un précoce éthos de chercheur adossé à l’apport d’un solide socle de culture générale, offre surtout une voie médiane intéressante pour des lycéens curieux, alertes intellectuellement et désireux de valoriser leurs compétences dans une formation sélective post-bac sans pour autant souhaiter fournir des efforts dans la seule optique d’un concours. Le CPES offre ainsi un cursus alternatif à la prépa en investissant aussi bien des objets scientifiques émergents (développement durable, data science, IA…) qu’en mûrissant une réflexion économique en phase avec les enjeux de l’extrême contemporain. Ainsi les CPES sont-ils souvent structurés en deux valences, l’une à dominante scientifique, l’autre à dominante économique et sociale sans oublier l’apport des humanités ni des langues vivantes. Il n’est ainsi pas rare que des cours soient dispensés en anglais. Au CPES d’Aix-Marseille, un semestre à l’étranger dans une université partenaire est même obligatoire.

La formation CPES s’adresse par conséquent avant tout à des bacheliers généraux[11] qui ne se projettent pas toujours spontanément vers des études longues et/ou sélectives et qui ne trouvent pas non plus dans l’offre universitaire classique un moyen de répondre à leurs aspirations. « On souhaite cibler les profils de bons lycéens qui peuvent s’autocensurer dans leurs choix d’études supérieures. Soit ils ne pensent pas avoir le niveau pour viser une prépa, soit ils craignent d’être noyés dans la masse d’un amphithéâtre à l’université[12] » explique Alexandra Knaebel, vice-présidente Formation et parcours de réussite.

Pour les meilleurs élèves boursiers dont on sait qu’ils peuvent hésiter à franchir le pas de la « prépa », le CPES peut faire office de formation idoine pour s’investir dans un parcours d’excellence qui rivalise avec la charge de travail demandée en CPGE tout en ménageant des plages appréciables d’autonomie pour s’exercer à la conduite de premiers projets de recherche. Cette démarche de questionnement et de mise en conversation des savoirs est par exemple mise à l’honneur à Janson de Sailly où, pendant tout un semestre, les étudiants réfléchissent en groupes restreints, à partir d’un article scientifique, à améliorer des biopiles à combustible. À Rennes, on peut même obtenir 30 ECTS supplémentaires (10 par an) grâce au module d’initiation à la recherche porté par l’ENS éponyme, si bien qu’au terme de leur parcours de trois ans, les étudiants de ce CPES disposent dans leur escarcelle de 210 ECTS au lieu des 180 d’une licence traditionnelle, ce qui va dans le sens d’une accélération du parcours de formation et de la reconnaissance d’une sur-compétence. Ce goût pour la recherche en train de se faire, instillé dès le premier cycle, pourra même s’étoffer ultérieurement dans une perspective doctorale.

En outre, tout CPES s’attache à construire un environnement stimulant et propice à la découverte par un accompagnement personnalisé et des modules d’éloquence, de prises de parole, de développement des soft skills… Contrairement à une licence monodisciplinaire, la spécialisation est progressive en CPES ; mais comme à l’université, l’accent est mis sur la prise d’initiative, la confiance et le fait d’être acteur de sa formation. Comme en prépa, les effectifs réduits autorisent un accompagnement resserré grâce à un lien privilégié et constant avec l’équipe pédagogique. L’ensemble de ces dispositions concourt à faire du CPES une formation « caméléon », unique en son genre dans le paysage universitaire français. Un récent rapport évaluant l’université PSL souligne qu’en vertu de la grande efficience des leviers pédagogiques à l’œuvre, les CPES permettent à tous leurs étudiants, en interaction avec les autres dispositifs de l’université « de personnaliser leur parcours et d’accéder à une offre de formation plus riche[13]. »

Mais au-delà de ces visées laudatives, y a-t-il des résistances et/ou des réalités de terrain empêchant les CPES de remplir pleinement les objectifs assignés par la nation ?

Disparités géographiques et effets établissements

Alors que seulement deux CPES apparaissaient dans Parcoursup en 2020, les années post-covid ont vu un bourgeonnement rapide de ces dispositifs, beaucoup ayant émergé en 2022 grâce à une impulsion ministérielle sur fond de réformes multidimensionnelles des politiques publiques affectant l’enseignement supérieur français[14].  Les CPES de Paris et Strasbourg, jadis pilotes, sont aujourd’hui des figures de proue entraînant dans leur sillage un essaim de dispositifs fondés sur la même architecture de formation et la même philosophie. Ces CPES témoignent de la vitalité d’un cursus qui séduit de plus en plus de candidats intéressés pour investir un champ mitoyen entre l’univers rigoureux et méthodique des prépas et celui, moins directif, de l’université.

Toutefois, malgré un discours consensuel autour d’objectifs plus que soutenables, force est de constater que l’offre de formation CPES semble assez inégale. D’une part, celle-ci apparaît fortement polarisée par une dualité Paris/province, ce qui engendre un déséquilibre géographique, les CPES excentrés semblant délaissés au profit de la capitale qui fonctionne comme le plus gros attracteur de candidats[15]. D’autre part, sur le critère de l’excellence, une hiérarchie implicite est à l’œuvre.  Les CPES parisiens sont les plus courus et bénéficient de la renommée internationale d’une université PSL visant le top 10 mondial à l’horizon 2035. Le tableau qui suit, synthétique, donne matière à une première caractérisation du phénomène CPES : une rapide combinaison des données glanées sur Parcoursup suffit à faire émerger une attractivité sélective où l’effet établissement joue à plein, les CPES d’Henri IV et de Janson de Sailly concentrant à eux seuls plus de la moitié de l’ensemble des candidatures (54,7 %).

Document 3 : Attractivité des CPES en 2024 (classement établi en fonction du nombre de candidats)

Lycée/villeParcours CPESUniversité ou grande école partenaireNombre de candidatsTaux de sélection[16]
Henri IV, ParisSciencesUniversité PSL2 66215,4 %
Henri IV, Paris Économie, société, droitUniversité PSL2 40910,7 %
Henri IV, Paris Humanités et sociétéUniversité PSL1 4658,6 %
Janson de Sailly ParisInnovations biomédicales et pharmaceutiques (IBP)Université Paris Cité1 17425,9 %
Lycée du Parc LyonSciences / Économie et sociétéENS Lyon88838,8 %
Lycée Montaigne BordeauxSciences et sociétéUniversité de Bordeaux81530,5 %
Janson de Sailly ParisEnvironnement et énergies nouvellesUPC/ Institut de physique du globe77142,5%
Stanislas, CannesHumanités, lettres et sociétésUniversité Côte d’Azur76843,3%
Chateaubriand

Rennes

« SenS » : Sciences, environnement, sociétéENS Rennes

Université de Rennes

68247,4 %
LIPPS, PalaiseauSciences des données, société et santéENS Paris-Saclay

X, HEC

66745,5%
Louis le Grand ParisSciences des données, arts et cultureUniversité PSL61229,9 %
Lycée Kléber StrasbourgSciences économiques, juridiques et socialesUniversité de Strasbourg56429,7 %
Lycée Thiers MarseilleSciences socialesAix-Marseille université46147,7%
Lycée Masséna NiceSciences et sociétéUniversité Côte d’Azur43660,3%
Lycée Malherbe CaenSciences et sociétéUniversité de Caen Normandie33164,3%
Lycée Descartes ToursSciences de la transition écologique et sociétaleUniversité de Tours27771,1%
Lycée Joffre MontpellierModélisation et numérique en sciences / sciences économiquesUniversité de Montpellier18664,5 %
Lycée Wallon

Valenciennes

SciencesUniv. Polytechnique des Hauts-de-France17673,3%
Lycée Watteau

Valenciennes

HumanitésUniv. Polytechnique des Hauts-de-France16782,6%
Lycée Victor Hugo BesançonSciences de l’ingénieurUniversité de Franche-Comté15660,2%
Lislet Geoffroy

La Réunion

Économie et sciences de l’ingénieurUniversité de la Réunion11275,9%

Lecture : En 2024, 15,4 % des 2 662 candidats ayant formulé un vœu sur Parcoursup pour intégrer le parcours Sciences du CPES d’Henri IV ont reçu une proposition d’admission.

Source : tableau réalisé à partir des données Parcoursup. Champ : France. Calculs de l’auteur.

 

L’effet établissement peut être positif sur le plan de la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur dans les territoires, comme à l’Unistra[17] qui a innové en étant la première faculté non francilienne à ouvrir un CPES en 2021. Jouissant d’une sphère d’influence étendue née de sa position stratégique en plein cœur de l’Europe et de la qualité de ses partenariats internationaux, ce CPES est devenu l’un des plus sélectifs de province. Or, l’analyse globale de l’implantation hexagonale et ultramarine des CPES fait apparaître une géographie de l’excellence discriminante avec une « étoile massive » au centre et des « trous noirs » en forme de diagonale du vide.

 Document 4 : Carte des CPES par académie en 2024.

Lecture : En 2024, on ne compte aucun CPES dans l’académie de Toulouse ou Dijon, 1 ou 2 dans celle d’Orléans-Tours ou à La Réunion et plus de 3 dans l’académie monodépartementale de Paris.

Source : carte réalisée par l’auteur à l’aide du logiciel Mapchart.

 

Si les CPES peuvent se prévaloir d’un label national, toutes les académies n’en accueillent pas, loin s’en faut. Il a là une carence à pallier si l’on veut que l’égalité des chances se décline au niveau spatial et pas uniquement social, même si les deux variables peuvent être reliées. Comme l’indique Frédéric Tallet, « Les bons résultats scolaires et au baccalauréat ainsi que le choix de filières plus sélectives dans l’enseignement supérieur sont des déterminants forts de la mobilité géographique. La catégorie sociale des parents joue aussi très positivement […], les étudiants de familles favorisées socialement ayant une plus grande propension à se déplacer pour leurs études supérieures[18]. » De là un paradoxe car si d’un côté il apparaît nécessaire d’offrir des formations sélectives au plus près du lieu d’habitation des bacheliers boursiers, de l’autre l’analyse des flux de candidats montre que les CPES à fort impact curriculaire sont aussi les plus centraux. Les CPES qui n’arrivent pas à faire le plein d’élèves (Besançon, Valenciennes[19]), symboles de cette France périphérique, reflètent cette difficile coexistence entre les universités de proximité à l’aire d’influence régionale et les universités intensives de recherche au rayonnement européen.

À cet égard, les néo-bacheliers, issus de QPPV[20] ou de ZRR[21] doivent faire l’objet d’une égale attention. Cela implique d’être proactif sur les conditions matérielles d’études. Catherine Moisan souligne à juste titre la nécessité « de mettre en place un cadre de discussion pour pouvoir réguler l’offre de formation à l’entrée de l’enseignement supérieur, afin qu’elle soit mieux répartie sur le territoire, qu’elle réponde mieux aux besoins économiques et aux besoins d’élévation du niveau de formation et de qualification de tous les jeunes[22]. » Or, les enjeux de territorialisation, louables en captant de très bons boursiers locaux, peuvent dans le même temps faire le jeu d’autres candidats, aux capacités scolaires identiques mais aux capacités de projection géographiques tout autres. Un trio de sociologues a ainsi démontré, sur la base d’analyse des logiques de déplacement des élèves visant les meilleures CPGE, que les enfants des ménages CSP+ visent principalement « les établissements comptant davantage de reçus aux concours des très grandes écoles, grâce à la mobilité spatiale permise par leurs ressources ; alors que les élèves de même niveau scolaire, aux ressources financières réduites, choisissent la proximité[23]. »

Ces questions de justice spatiale, loin d’être scotomisées, mobilisent beaucoup d’acteurs afin que les critères d’accès à certains CPES ne soit pas rédhibitoires, notamment en matière d’aides financières et de mobilité. En région parisienne, cet obstacle commence à être pris à bras le corps : compléments de bourse, exonération de droits d’inscription, repas à un euro… sont autant de gestes forts mis en avant pour les CPES boursiers d’Henri IV. Citons aussi le cas du LIPPS[24] qui, en allant très loin dans la facilitation de l’accueil et de la prise en charge de ses élèves CPES en leur réservant des places d’internat avec pension complète, y compris le week-end, fournit un bon exemple de prise en compte des publics vulnérables en prise avec la problématique épineuse du logement.

Si de telles initiatives concrètes, en tentant de conjuguer diversité sociale et méritocratie républicaine, excellence et égalité des chances, sont heureuses, ces mesures incitatives sont toutefois loin d’être suffisantes pour faire évoluer la cartographie mentale des jeunes issus de milieu défavorisé en position de réussite scolaire mais en difficulté sociale. Par autosélection, ils ont tendance à limiter leurs ambitions en postulant à des formations de proximité pour des raisons de praticité et de plafond de verre intériorisé[25]. L’accompagnement de ces publics par des acteurs de l’éducation bien formés et la qualité de l’information délivrée dans leur direction sont alors déterminants pour diminuer l’inégalité face à l’orientation au moment clé de ces choix de parcours.

Christophe CHARPIOT

Psychologue de l’Éducation nationale, académie de Lyon

 

[1] Sartre, J.-P. (1948). Qu’est-ce que la littérature ? Éditions Gallimard, 2008, p. 290.

[2] « Le » CPES ne doit pas être confondu avec « la » CPES (Classe préparatoire aux études supérieures) visant à remettre à niveau, en un an, des élèves issus de milieux sociaux défavorisés en vue d’intégrer une CPGE.

[3] Gellé, G., Propos recueillis par Boissinot, A. et Moulin Civil, F. (2024). Le bac – 3 / bac + 3 et les nouveaux cursus universitaires… en question(s). Administration & Éducation, N° 182(2), p. 63.

[4] Moisan, C. (2024). Parcoursup : le grand méchant loup ? Administration & Éducation, N° 182(2), p. 41-49.

[5] Commission d’examen des vœux.

[6] B.O. n°4 du 26 janvier 2023 relatif aux Cycles pluridisciplinaires d’études supérieures.

[7] Entretien intégral accessible sur le site du lycée international de Palaiseau Paris Saclay (LIPPS). https://www.lipsp.fr/le-post-bac-au-lipps/

[8] B.O. n°4 du 26 janvier 2023.

[9] Collège des Hautes Études Lyon Sciences.

[10] Diplôme de 1er cycle délivré par l’ENS Lyon (si le CPES recouvre le volet formation, la certification, elle, incombe à l’établissement partenaire).

[11] Seul le CPES de La Réunion admet des bacheliers technologiques, à hauteur d’un tiers. Données : Parcoursup.

[12] Collobert, E. (2002, 8 novembre). Savoir(s), Le quotidien de l’université de Strasbourg.

[13] Rapport d’évaluation de l’université PSL, 2025, HCERES, p. 35.

[14] Tallet, F. (2024). Les grandes évolutions de l’enseignement supérieur vues par la statistique publique : dynamique des effectifs, mobilité, insertion professionnelle. Administration & Éducation, N° 182(2).

[15] Plus de 6 500 demandes en tout pour les CPES du complexe PSL/Henri IV.

[16] Ratio entre le nombre de candidats ayant demandé la formation CPES et le nombre de candidats ayant reçu une proposition d’admission (qu’ils ont acceptée ou refusée). Ce « taux de sélection » n’est donc pas à proprement parler un taux d’admission.

[17] Université de Strasbourg.

[18] Tallet, F., op. cit., p. 34-35.

[19] 14 inscrits aux lycées Hugo et Watteau pour des capacités d’accueil respectives en CPES de 24 et 25 places.

[20] Quartier prioritaire politique de la ville.

[21] Zone de revitalisation rurale.

[22] Moisan, C. (2024). L’offre de formation, un déterminant de l’accès à l’enseignement supérieur. Administration & Éducation, N° 182 (2), p. 73.

[23] Michaut, C., Lanéelle, X. et Dutercq, Y. (2021). Les stratégies socio-spatiales des candidats aux classes préparatoires aux grandes écoles. Formation emploi, n° 155(3), p. 97.

[24] Lycée international de Palaiseau Paris Saclay.

[25] Odry, D. (2021). L’orientation dans le système éducatif. Mardaga.

 

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“Regards croisés sur des parcours en rupture” par Natacha FERLAC, Cécile-Eugénie CLOT & Fabien MARMONIER-LECHAT

Regards croisés sur des parcours en rupture

 

Natacha FERLAC

Cécile-Eugénie CLOT

Fabien MARMONIER-LECHAT


Résumé :

Cet article repose sur une démarche qui s’est attachée à construire avec les jeunes rencontrés une relation d’écoute et de confiance afin de donner toute sa place à leur parole, dont sont conservées l’authenticité et la spontanéité. Le corpus a été recueilli auprès de jeunes en Service militaire volontaire (SMV), de mineurs incarcérés en quartier mineurs (QM) de maison d’arrêt et de jeunes des Missions locales (ML). L’échantillon, numériquement limité, est représentatif pour une démarche qualitative, qui repose sur l’analyse approfondie des verbatims, non sur la quantification des récurrences. Les entretiens exploratoires, d’une durée d’environ quarante minutes, ont été menés en petits groupes ou individuellement sur la base d’une méthodologie scientifique de conduite d’entretien et d’analyse des retranscriptions. La trame du guide exploratoire est constituée de questions ouvertes et de relances non exhaustives, qui visent à approfondir les réponses données.

Il s’agissait d’analyser les récurrences dans les parcours en rupture, d’en comprendre les ressorts et d’en faire ressortir l’origine afin d’enrichir notre réflexion commune pour tenter de pallier la grande fragilité scolaire par des dispositifs ciblés bien en amont de la rupture.

 

Mots-clés : témoignages, décrochage scolaire, parcours scolaires, illettrisme


 

Préambule : l’école

L’École, dont la représentation est fortement ancrée dans l’inconscient collectif, constitue pour tous un moment essentiel du parcours de vie et d’un devenir dans une société complexe. Les jeunes en rupture que nous avons rencontrés ne font pas exception : globalement, ils n’expriment pas d’amertume vis-à-vis de leur scolarité. Ils ont plutôt une réaction positive à l’évocation du mot « école » et en soulignent les aspects joyeux, en particulier de socialisation.

« On apprend des trucs, on s’amusait. La maternelle, juste devant chez moi. J’y allais avec ma mère », « Y’avait de l’énergie dans l’air » (QM)

Les jeunes en soulignent l’importance, l’utilité et témoignent même d’une forme de reconnaissance à l’égard de ceux qui ont su, à un moment de leur vie, les accompagner, en particulier en primaire, moment de l’apprentissage des savoirs fondamentaux :

« Le primaire c’est important pour bien commencer le collège après », « L’école primaire permet d’apprendre à lire, écrire et s’exprimer ; les bases scolaires » (SMV)

S’ils font montre d’une forme de résilience, s’ils n’expriment pas de profond ressentiment lors de leur réaction première, ils font état toutefois de blessures profondes. Leur discours, après de premiers sourires, s’affaisse dans la narration de moments douloureux, présentés avec résignation, comme s’ils étaient inéluctables eu égard à une détermination sociale qu’ils ressentent confusément. Car tous les jeunes qui se sont exprimés évoquent le sentiment d’avoir été mis à l’écart, oubliés, stigmatisés, jugés, catalogués et étiquetés par le système scolaire.

« [J’avais] l’image d’un élève perturbateur. Qu’est-ce que cela vous faisait ? Ça me faisait rien. J’étais exclu par rapport aux profs. Ceux qui se comportaient différemment, ils m’insultaient – y disaient que j’avais pas d’éducation » (ML)

 

  1. L’âge d’or de l’école élémentaire

L’école élémentaire constitue une période idéale, ou idéalisée. Les jeunes font une description hagiographique de leur passage à l’école élémentaire, dont ils soulignent qu’elle s’incarne dans un seul interlocuteur, souvent bienveillant («gentil» est le qualificatif récurrent), à l’écoute, inventif, créatif, proposant des activités dynamiques dont ils percevaient le sens. En parallèle de cette période heureuse, ils esquissent un contexte familial serein, à l’image du vécu en classe.

« Au primaire, tout se passait bien, je m’entendais bien avec les profs, c’était la meilleure période, de la joie, de la bonne humeur. », « Le primaire, j’aimais bien, l’ambiance et tout, comment c’était, j’aimais bien aller à l’école » (QM)

« Au primaire, l’enseignant est attentif, il nous connaît bien. C’est toujours la même personne. » (SMV)

L’école élémentaire, néanmoins, n’est pas exempte de certaines ruptures : la première évoquée par certains d’entre eux est celle de l’entrée au CP. D’un mode d’apprentissage ludique et vivant, laissant de la place à la liberté et à l’enfant qu’ils étaient, ils ont le sentiment de passer à une lourdeur et à un carcan. C’est avant tout la contrainte physique de l’immobilisme qui est ressentie comme une brutalité.

« Ils devraient y aller plus doux pour le passage de la grande section au CP, car d’un coup, on ne peut plus bouger, plus parler », « Il y a une fracture entre la maternelle et le primaire »  (SMV)

Malgré ce premier choc, l’école élémentaire reste synonyme de joie et d’une forme de bonheur initial : elle apparaît comme capable d’amortir tant les dissensions familiales, que celles liées à la construction individuelle de l’enfant. Elle offre un cadre stable et rassurant, une routine bienfaisante, au sein d’une classe d’âge à peu près homogène et non anxiogène.

Chacun des jeunes dépeint toutefois dans un second temps une ombre au tableau, une fausse note dans cette période enchantée. Si les enseignants sont décrits comme gentils, il y a toujours une exception : « tous gentils sauf un » qui cristallise l’essentiel des souvenirs douloureux. La parole ne tarit pas sur cette exception et les détails affluent, faisant montre d’un souvenir intact et très précis. Les jeunes reviennent alors longuement sur ce qui ne constitue finalement qu’une très petite part du vécu en primaire. Sont perceptibles déjà dans ces récits les facteurs qui se révèleront déclencheurs par la suite du rejet du système scolaire : manque de douceur (cris), arbitraire, agressivité, punitions, injustice, sévérité accrue, contrainte corporelle (rester assis sans bouger), comportement instable, d’humeur changeante, versatile, insécurisante.

« Il y avait Mme Z., que personne n’aimait. Quand il y avait quelque chose, elle se mettait à crier », « Ils étaient tous bien, sauf un », « Les profs étaient très gentils. Sauf celui du CM1. Je me souviendrai toute ma vie de celui-là. » (ML)

La disproportion de ce souvenir négatif interpelle. Il génère une parole prolixe, comme si ce souvenir constituait les prémices de ce qui allait advenir de la relation à l’école.

La fausse-note ne semble pas néanmoins obérer la qualité de l’ensemble symphonique du souvenir. La présence d’un seul et même interlocuteur (le/la professeur.e des écoles) est donc en mesure de compenser les éventuelles tensions. Elle rassure et sécurise, crée un environnement suffisamment serein dans son ensemble pour laisser une image apaisée dans le souvenir.

Au-delà de l’atmosphère rassurante, c’est également la légèreté, l’insouciance et la souplesse des contenus qui sont également idéalisées : le chant, par exemple, créant une ambiance joyeuse et une communauté, les activités artistiques, la découverte du monde et, surtout, les activités sportives et de motricité, véritable bouffée d’oxygène qui leur manquera ensuite au collège. Les jeunes évoquent le sens qu’ils perçoivent à ces activités, qui accompagnent la construction de savoirs et de compétences, notamment en lecture et en écriture, apprentissages qu’ils qualifient d’essentiels.

« Quand le prof il mettait de la musique et qu’il fallait chanter.» (QM)  

« En primaire, on faisait des balles aux prisonniers, de la gym, du basket, du baseball, on touchait à tout. On faisait différentes activités.» (SMV)

L’impression ressentie et décrite par les jeunes d’être à cette époque encore de ceux qui participent à la vie de l’école et de ceux qui y réussissent est frappante. L’adjectif qualificatif «normal» est récurrent, et renvoie à une manière d’exprimer un sentiment de cohésion avec le groupe. Les amitiés sont soulignées, qui sont toutefois toujours décrites comme perdues par la suite.

La relation à la famille à cette période est toujours idéalisée. La présence de la famille est évoquée comme une relation harmonieuse avec un monde qui gravite autour de l’épicentre scolaire. Les relances mettent pourtant au jour que les enfants allaient souvent seuls à l’école. Il est possible que la vision hagiographique de ce moment de leur vie s’assortisse d’images de moments familiaux idéalisés, héritées d’une culture collective et véhiculée via leur socialisation jusqu’à leur mémoire où elles se sont figées, indépendamment de la réalité vécue.

Nous renonçons toutefois au cours de nos entretiens à approfondir la place de la famille, en particulier avec les jeunes détenus, pour qui ce sujet est souvent complexe et douloureux. Nous ne disposons pas d’éléments tangibles pour étayer l’hypothèse d’une relation idéalisée avec le milieu familial à cette époque, hypothèse qui pourra faire l’objet d’une étude ciblée, augmentée d’un regard scientifique étayé en matière de sociologie et de psychologie de l’enfant.

 

  1. La cassure du collège

Tous les jeunes que nous avons rencontrés évoquent avec leurs mots une rupture sans appel et d’une grande brutalité lors de leur entrée au collège. Si ce cheminement vers l’autonomie, ce passage vers davantage de responsabilisation est un choc pour tous les enfants, si la sortie du monde de l’insouciance et de l’enfance peut constituer un moment douloureux, si la confrontation avec un monde complexe, peuplé d’adolescents plus âgés et souvent hostiles, ainsi que d’adultes aux fonctions diverses, difficilement identifiables et souvent répressives, est une étape éprouvante dans le cheminement de l’enfant en devenir, les contextes familiaux les plus favorisés sont en capacité de l’accompagner et de l’amortir dans toutes ses conséquences. Les enfants aux profils fragiles ou issus de milieux plus éloignés du monde scolaire et de la réussite, eux, doivent vivre, ou plutôt affronter seuls ce moment charnière de rupture.

« C’était une ambiance, je sais pas Madame, une ambiance froide. […] Y’en avait qui regardaient mal, ils lançaient des regards sombres. Des troisièmes et tout, ils lançaient des regards sombres. Les troisièmes en récréation, ça regardait mal, ça lançait des regards sombres. » (QM) 

Le monde du collège est ressenti par eux comme un monde hostile, dans lequel les pairs incarnent un danger potentiel et les adultes un univers autoritaire, systémiquement punitif. Ils comprennent mal le cadre, en cernent mal les contours et l’acceptent difficilement. La bienveillance, la douceur et l’accompagnement incarnés jusqu’alors dans la personne d’un seul enseignant, deviennent diffus jusqu’à ne plus être perceptibles.

Tous les jeunes que nous avons rencontrés soulignent unanimement dans les entretiens comme autant de souvenirs douloureux :

  • la taille de l’établissement, la multiplicité des interlocuteurs et le caractère imprédictible de leurs demandes ;
  • le rythme nouveau, la fatigue, l’immobilisme en classe, les enseignements trop statiques, le manque d’activités physiques ;
  • les réactions souvent déconcertantes ou imprévisibles des professeurs, le manque d’harmonie des consignes et des pratiques dans l’équipe pédagogique. Le manque de «respect», l’arbitraire des sanctions, la violence de la voix ;
  • l’injustice ;
  • la présence et l’hostilité des plus grands (qui «jettent des regards sombres»), la multiplication des interlocuteurs, la perte des amis d’enfance et, plus généralement, de la stabilité ;
  • la solitude, l’isolement, la violence, l’agressivité ;
  • l’hétérogénéité des publics et le sentiment de l’inquiétante familiarité (das Unheimliche : l’autre, si semblable et pourtant différent, qui me rejette) ;
  • la stigmatisation : le sentiment d’exclusion, de ne pas partager les codes des autres, d’être différent ;
  • les propos blessants des enseignants, l’étiquetage implacable et irrévocable, (décrocheur, absentéiste, perturbateur, rétif, agressif, ingérable, …) auquel on finit par se résigner ou se conformer, en adaptant son comportement à ce que l’on est censé être.

Nous avons choisi d’approfondir notre analyse en l’articulant dans un premier temps autour du pivot central qu’est l’autre, dans la perception que ces jeunes ont pu en avoir lors de leur entrée au collège, afin de mettre en exergue combien l’examen de cette relation à autrui, dont ces jeunes perçoivent avant tout les aspects négatifs, est essentielle pour appréhender la rupture.

 

2.1. Autrui 

  • Le rejet  

Les jeunes évoquent un sentiment profond et commun à tous de rejet par les autres, dont ils se sentent différents et dont le regard les blesse. Que ce soit dans la transmission des contenus (dont ils se disent d’emblée éloignés) ou dans la communauté, ces jeunes se sentent fondamentalement rejetés, exécrés. La perception qu’ils ont de l’environnement immédiat du collège et des communautés qui le constituent, fait d’eux des parias. Ils dénoncent alors de manière récurrente le sentiment d’être différent, de ne pas correspondre aux standards visibles, de ne pas faire partie d’un monde fondé sur des codes qui leur sont étrangers.

Le premier rejet est finalement celui des pairs, eu égard à la différence sociale qu’ils incarnent, que cette incarnation soit réelle ou dans la représentation de ces jeunes, issus souvent de milieux fragiles et défavorisés. Le sentiment d’être différent procède de nombreux éléments, qui n’avaient pas été auparavant ressentis par ces jeunes avec autant d’acuité et qui sont décrits avec précision dans les entretiens. Les jeunes évoquent un sentiment diffus qui les met en marge du groupe. Ce sont les autres, tous solidaires dans une communauté dont les codes ne sont pas clairement identifiés (qu’il s’agisse de codes de classe sociale ou de groupe communautaire), qui excluent celui qui est différent d’eux.

Ce sentiment est perçu comme une forme de mépris de groupe ou de classe, considéré par certains comme une forme de ségrégation (voire de racisme) qui les touche eux et eux seuls, éventuellement avec un ami proche et complice dans la situation d’exclusion :

« J’aurais dû rester à l’école. Mais le regard des gens, c’était pesant, c’est pas un truc positif», « Personne ne me parlait. Ils se parlaient entre eux. En promenade j’étais à l’écart. L’ambiance, là-bas, j’ai pas aimé. Les gens, comme ils se comportaient, des bagarres, c’était bizarre.», « C’était tendu entre les élèves et moi et les profs. Ils avaient jamais vu un arabe. Y’avait des russes, des chinois, des trucs comme ça. […] Je suis resté un mois. je suis direct parti » (QM) 

« En plus, au collège c’est mélangé, les élèves arrivent de milieux différents », « On m’a dit que j’étais un cas-soc » (SMV)

« Ceux qui se comportaient différemment, ils m’insultaient – y disaient que j’avais pas d’éducation » (ML) 

Rejetés par leurs pairs dans leur particularité, leur identité et leur individualité, ils ont le sentiment que la communauté éducative les affuble d’une étiquette, sur laquelle tout le monde s’accorde et à laquelle ils finissent par s’identifier, dans une forme de résignation et d’appropriation identitaire, et avec les conséquences de laquelle ils finissent par se fondre. «On me dit que je suis un perturbateur, donc je suis et serai un perturbateur» :

« Les profs et les pions cherchaient à me faire punir. C’est ce qu’on attendait de moi», «on met des étiquettes sur les élèves » (SMV)

« Je suis un « perturbateur » [gestuelle mettant des guillemets]. Alors je me suis dit qu’ils vont pas me redire après que je suis  bon élève, alors je me suis dit : je suis un perturbateur, si vous le dites. » (QM)

« J’avais l’image d’un élève perturbateur », «On m’accusait d’un crime que je commettais pas. Alors je me suis dit, autant le faire. » (ML) 

 

  • Le mépris 

À un second niveau, le sentiment de rejet se concrétise dans l’attitude des enseignants, vécue comme jugeante ou sans la nécessité de s’intéresser davantage à eux. Au mieux, ils se sentent ignorés, au pire agressés. Ils vivent comme un second rejet ce manque d’attention, d’écoute et d’accompagnement, ainsi que la présence des chouchous qui sont meilleurs qu’eux. Ils dénoncent un opprobre des équipes pédagogiques focalisé sur eux.

Ce manque d’attention vécu se lit d’abord au-travers du rythme qu’ils ont l’impression de devoir subir, sans égard pour leur propre processus d’appropriation des contenus :

« Alors qu’en primaire les enseignants prennent le temps, au collège il faut aller très vite », « Au collège, il faut aller vite, les profs changent tout le temps et ne nous connaissent pas », « Au collège, il faut toujours faire vite, copier », « Ils avançaient vite dans le programme [] ils laissaient ceux qui étaient en train de décrocher » (SMV)

« Des fois, ils parlent vite et je comprends pas. Et quand je leur demande, ils me disent : fallait écouter », « Au début [le collège], j’aimais bien, mais tu devais changer de cours, y’avait plusieurs profs » (QM)

Unanimement, ces jeunes se trouvent tout au long de leur scolarité dans une forme de relation à l’adulte qui est intensément affective. La défiance, souvent critique, qu’ils manifestent à l’égard des codes et du cadre les place dans une relation intuitive à l’autre. La conclusion qui s’impose à eux est sans appel : si les professeurs les rejettent, c’est parce qu’ils « ne les aiment pas ».

« La directrice ne m’aimait pas, elle me virait toujours de cours sans raison », « Je ne sais pas pourquoi, je me suis retrouvé dans les élèves qu’elle n’aimait pas » (SMV)

« SVT et tout ça, je l’ai pas oublié, lui. Lui, c’était la misère, il m’aimait pas, ça se voyait. Il avait les nerfs. [Spécialement avec vous ?] Parce que j’allais pas à ses cours. Les fois où j’y suis allé, il faisait sa grosse voix, là » (QM)

Le rejet par les enseignants se trouve augmenté d’une charge émotionnelle particulière, dans la mesure où échoit aux professeurs du fait de leur fonction et à la différence de leurs pairs élèves, la charge et le devoir de s’occuper d’eux. Les jeunes s’insurgent avec virulence contre l’indifférence et la négligence des enseignants qui ne «font pas leur métier» (jugement souvent sévère et peu nuancé des «mauvais profs»). Ils dénoncent des enseignants qui les ignorent, qui les délaissent, ceux qui ignorent leurs besoins particuliers, d’attention, d’accompagnement, d’explicitation, de clarification, d’estime et de valorisation. Lorsque le rejet ressenti vient d’un enseignant, il blesse, il mine le fondement sur lequel se construit le devenir scolaire. Lorsqu’il vient d’un enseignant, le rejet s’apparente au mépris.

« Des gens qui s’en foutent de nous. Il y en a beaucoup. Ceux qui font ça pour l’argent », « ils me calculaient pas trop. Ils ont vu que je faisais de la merde partout, que j’écrivais pas. Quand ils me posaient des questions, moi, je savais pas», «Un autre prof, lui, il s’en foutait. Il mettait son affiche, là, puis il restait derrière son ordi » (QM)

« Mais les profs, il s’en foutaient, ils font leur cours et ils rentrent chez eux », « Au collège ils s’en foutent, ils prennent leur paye, ils veulent finir le programme » (SMV)

A contrario, les bons professeurs sont ceux qui se sont intéressés particulièrement à eux, ceux qui ont fait preuve de douceur, ceux qui les ont valorisés, accompagnés et écoutés.

« Des fois les profs, c’étaient des bons, ils aidaient. []. Le prof qui aide, Madame, c’est rare.», « Y’avait un prof, un chinois, je sais plus de quoi, il mettait de la joie», «En sixième, musique, c’était bien. Le prof, c’était un bon, il parlait bien. Il rigolait, il faisait des petites blagues », « C’était une bonne prof, parce qu’elle venait vers moi, qu’elle avait pas trop de chouchous. J’avais besoin de ça et elle m’expliquait bien, elle faisait bien son travail. Avec elle, je suivais bien, je l’aimais bien. » (QM)

« J’ai eu un prof qui me prenait de 13h à 13h30, c’était bien » (SMV)

Si tous ces jeunes ont nécessairement pu bénéficier à un stade de leur parcours de moments d’attention et d’accompagnement, leur mémoire émotionnelle n’a retenu, dans une disproportion de la part accordée au négatif, que ce qui n’a pas fonctionné, ce qui les a agressés, ce qui leur a fait violence et les a exclus.

C’est à cette forme d’agression et de violence qu’ils ont eux-mêmes répondu par la violence, dans un engrenage qu’il est indispensable de décrypter, afin de mettre au jour les mécanismes qui y conduisent.

 

  • La violence

La violence est omniprésente dans les parcours en rupture des jeunes rencontrés, en particulier en milieu carcéral. Elle apparaît comme la seule réponse à la sollicitation d’autrui.

La violence lors de l’entrée au collège est vécue comme un choc, au sortir de la «bulle» du primaire, à l’intérieur de laquelle une forme de douceur semblait préservée. Lorsque l’environnement de l’enfant est difficilement en mesure d’accompagner ce choc, il peut avoir des conséquences douloureuses et délétères sur le parcours du jeune collégien. Dans la cour, c’est la «loi du plus fort» qui règne. Et les plus forts, ce sont soit les plus agressifs, soit, comme souvent, les plus grands.

« Au collège, il y avait trop de petits mélangés tout le temps aux grands et ça partait tout le temps en vrille. Les troisièmes c’est des ados alors que les sixièmes sont encore enfantins », « En sixième on se fait regarder par les grands comme des bébés si on joue aux jeux du primaire. Donc on arrête et on fait plus rien en récré », « Au collège, c’était pas du tout pareil qu’en primaire, il y avait des grosses bastons » (SMV)

« Je suis allé au collège à M. et je me suis battu. Je suis arrivé, on a voulu me tester, je ne me suis pas laissé faire ». (QM)  

« En vrai, je me suis battu presque tous les ans, avec des élèves » (ML)

Mais c’est la violence institutionnelle qui, même si elle ne se manifeste pas souvent et pourrait être compensée par l’attention qui leur est prodiguée, est ressentie comme la plus brutale. C’est elle qui laisse d’irréparables fissures dans l’estime de soi et dans la consolidation d’une personnalité en devenir. La parole de l’adulte, pour un enfant, est une parole à laquelle on accorde un immense crédit. Les professeurs, par des mots parfois pour eux anodins et sans conséquences, parce que ces mots ont dans la perception des enfants et leur contexte présent une implication tout autre, par leur attitude et par d’éventuelles sanctions, stigmatisent ces jeunes déjà fragiles, les exposent au regard de l’autre (et à son jugement) et les blessent durablement.

« Quand on est petit, même pour un rien, ça vous touche », « Toi, tu vas pas réussir, y me disaient, les profs » (QM) 

Dans le récit que font ces jeunes des situations de violence, reflet de la perception profonde qu’ils en ont, l’agression vient toujours de l’autre : c’est l’autre qui «embrouille» et la violence qui sera la leur est toujours selon eux en réaction à cette agression.

La réponse à ces agressions vécues comme une fatalité est donc fatalement toujours violente : dans les mots ou dans les gestes. A chaque fois, la réaction violente est présentée comme inéluctable et évoquée avec résignation.

Elle est également ressentie et décrite comme en miroir à celle de l’autre : des insultes en réponse aux insultes, la colère en réaction à la colère, une disproportion en réponse à une première disproportion, la brutalité en réaction à la brutalité.

« Mais s’il me respecte pas, je le respecte pas. Et ça peut aller jusqu’à des coups », « En sixième, ça allait, mais en cinquième, j’ai commencé à avoir des embrouilles avec les profs. Les professeurs, ils me provoquaient. Je me suis embrouillé avec un, ils m’ont renvoyé deux jours», « Les profs, j’avais des embrouilles avec les profs. Dès que je disais un truc, ils cherchaient un petit truc pour me rendre fou », « Un jour, c’est parti en insultes. On s’est insultés, il m’a insulté. On s’est tapés » (QM)

« Je me suis battu une fois avec un prof – le prof de SVT. J’étais derrière, un élève m’a insulté, le prof a vu que ma bêtise, pas la bêtise de l’autre. C’est parti sur des provocations, une poubelle, je l’ai jetée » (ML)

On constate des récurrences dans les situations qui déclenchent une réponse violente de la part de ces jeunes. Le simple fait qu’un adulte hausse la voix, crie de manière ciblée sur l’individu (ou sur un autre qui lui est proche), peut être un facteur de stress suffisant pour provoquer une réaction violente immédiate :

« Chépa, ils savent être que tendus, ils sont au calme et ils vous crient dessus», «Je me suis embrouillé avec la chef du truc, elle me faisait la morale, elle me criait dessus, elle me disait, tu fais le bordel partout, c’est pas possible » (QM)

« Il me hurlait dessus devant tout le monde En quatrième et troisième, je mettais plus le souk, mais il continuait à me hurler dessus. » (ML)

« Dès le collège, on s’est mis à me crier dessus. Je ne supporte pas qu’on me crie dessus », « Au collège, les profs parlent mal, ils élèvent la voix et moi j’aimais pas. Ça me faisait monter en pression » (SMV)

 

  • Le « respect »

Notion clé, d’interprétation très subjective, le respect, et en particulier son manque, est omniprésent dans les récits que font les jeunes de leur parcours et de la rupture. La sensibilité à l’idée qu’ils se font du respect qui leur est dû est difficile à appréhender, tant ils comprennent sous ce concept un foisonnement de ressentis, de frustrations, d’agressions sourdes, de connotations, de langages non verbaux, de codes, de non-dits, d’allusions, de tensions sous-jacentes et de souvenirs confus.

Il est certain que l’exposition à la critique insultante devant les autres est un facteur objectivable qui provoque la violence, tant il déclenche de la colère par l’injustice ressentie et la fragilisation (l’autre étant déjà source d’insécurité et de doutes).

« Il me disait que j’avais une écriture de cochon, j’aurais aimé que le prof il aille pas montrer mon écriture à un autre prof pour se moquer de moi. Même si j’avais une écriture de cochon, qu’on le voie pas comme ça. C’est pas très glorieux, mais ça donnait plus envie de faire quelque chose. » (ML) 

« Mais s’il me respecte pas, je le respecte pas. Et ça peut aller jusqu’à des coups. il m’a dit, espèce de guignol. Je me suis embrouillé avec lui, il m’a renvoyé de cours. C’est un fou, lui. Y me dit ça et je lui ai dit, c’est toi le guignol, et j’ai jeté la chaise», «et puis le prof, il a dit à un ami, t’es petit comme une mouche. On était dégoûtés parce qu’il avait dit ça devant les autres » (QM)

 

  • L’injustice 

Part du manque de respect, mais sentiment plus complexe et plus vaste, ressenti dans de multiples situations du contexte scolaire, l’injustice est à l’origine tant d’un renforcement du sentiment d’exclusion et du rejet, qu’elle cristallise, que du surgissement de la violence.

L’injustice est double : elle relève à la fois de l’arbitraire, du jugement sans nuance et de la disproportion de la sanction, ainsi que du manque d’écoute et de crédibilité accordée à la parole de celui qui se défend. La culpabilité n’est pas décisive dans ce contexte. Les jeunes concèdent volontiers que leur attitude a pu générer auprès de la communauté éducative de la crispation, voire du mécontentement. («Le prof, il devait craquer, il avait que des phénomènes», QM). Toutefois, c’est l’aspect systémique de la sanction et du reproche, qui touche toujours les mêmes (du moins ceux qui se ressemblent ou présentent des attributs semblables), de l’exposition à l’opprobre et de l’acharnement qui les blesse et qui provoque leur colère.

« J’ai eu un prof qui me mettait dehors dès que j’ouvrais la bouche. Au début ça allait et d’un seul coup ça s’est fait comme ça. Je n’ai jamais su pourquoi, si j’avais fait quelque chose… C’est bizarre car au début, il était sympa » (SMV)

L’exposition publique de leurs fragilités au regard forcément stigmatisant et rejetant de l’autre renforce l’impression d’exclusion et d’isolement. Elle est unanimement vécue comme un traumatisme dont il est difficile de se relever. L’étiquetage se consolide, il est partagé par l’ensemble des acteurs du collège jusqu’à devenir un carcan dont on ne peut s’extraire. L’exclusion physique et souvent définitive du collège, qui fera suite à un acte grave de violence, apparaît alors comme la seule issue, ainsi que comme la possibilité d’un recommencement, dont l’efficacité toutefois s’avère rarement, tant convergent à nouveau dans l’établissement suivant les mêmes contextes, les mêmes ressorts et les mêmes rejets.

L’injustice, c’est surtout le sentiment d’une fatalité. Comme si leur parole n’avait dans ce cadre aucune valeur, aucun poids, comme si leur existence n’était qu’un jeu d’ombres, une scène sur laquelle se jouerait une comédie humaine où ils tiendraient le rôle de l’exclu. La part du déterminisme social, qu’il soit ou non conscient chez ces jeunes, est immense et les force à endosser le rôle auquel leur environnement et autrui les destinent :

[Relance sur les conseils de discipline, avant exclusion définitive] « J’y allais pas. Je savais pas à quoi ça servait d’y aller. Quand on arrive là-bas, y z’ont déjà leur décision dans la tête. Je savais qu’ils m’écouteraient pas » (QM)

« Au lycée, je me suis fait virer parce que j’avais pas fait un devoir d’anglais. Tout le monde avait le droit de le rattraper, mais pas moi » (ML)

L’injustice est d’autant plus à l’origine du renforcement d’un sentiment de rejet et d’exclusion que certains semblent bénéficier a contrario d’un traitement de faveur. « Les enseignants ont tous leurs chouchous ». Ce n’est pas à ces derniers qu’on tient rigueur de ces privilèges, mais bien à l’institution qui les accepte, voire les encourage. La présence de chouchous, souvent plus conformes qu’eux aux standards sociétaux, conforte leur sentiment d’être différents et de ne pas faire partie de ce monde scolaire, qui les rejette et ne tardera pas à les exclure :

« Les profs ont toujours un élève qu’ils préfèrent, un chouchou. Parfois parce que les parents avaient beaucoup de sous ou connaissaient le prof », « Au collège, à la différence du primaire, les profs ont des chouchous. Ils ne sont pas équitables avec tous les élèves » (SMV)

« Pas les chouchous, pour eux, ça se passait bien. Le principal, la CPE, ils en avaient tous. » (ML) 

 

2.2. Rupture systémique

Si autrui cristallise le rejet, les jeunes sont unanimes aussi pour ce qui relève du système, contenant en lui-même des éléments intrinsèques qui concourent à la rupture.

 

  • La lassitude, l’immobilisme, la passivité et l’ennui

Les récits que font les jeunes décrocheurs de leur passé scolaire laissent entrevoir l’ennui éprouvé tout au long des journées en classe, où l’immobilisme et la passivité accroissaient un sentiment de vacuité.

« On s’endort », « C’est répétitif » (SMV), « De l’ennui », « je m’ennuie et y’a rien à faire, y’a pas d’ambiance » (ML)

Avec le recul, certains jeunes sont capables de voir dans l’ennui la source de leur agitation, expression d’une forme de mal-être : «On met le bazar parce qu’on s’ennuie» (SMV)

Ils abordent leurs difficultés individuelles à demeurer en position d’élèves assis dans une classe, cette dernière étant vécue comme une contrainte physique confinant à la torture :

« On ne peut pas rester assis tout le temps sur sa chaise, ce n’est pas possible », « Une heure assis, c’est trop long. […] On subit les cours», «Moi j’aime pas en mode être assis pendant des heures et écouter » (SMV)

Cet immobilisme est ressenti comme une brutalité, a fortiori lors de chaque passage d’un contexte scolaire à l’autre. La contrainte des corps est une violence imposée aux enfants, sans que ceux-ci puissent en saisir le sens, mais qu’ils subissent comme une réalité institutionnelle non négociable, peu propice à encourager leur adhésion.

 

  • L’absence de sens 

Les jeunes soulignent le décalage profond entre le contenu des enseignements et ce qui constitue pour eux la «vraie vie» : dans leur présent, mais également dans ce qu’ils projettent de leur futur. Les enseignements généraux leur semblent déconnectés des besoins criants qui sont les leurs dans l’appréhension de leur vie et de leur avenir. Ce décalage patent entre les enseignements et leur réalité provoque pour une grande part leur jugement irrévocable :

« Le collège c’est inutile, ça m’apprend rien pour le métier plus tard » (SMV)

Leur éloignement de la sphère scolaire ne signifie en rien qu’ils ne sont pas au cœur de leur temps, de leur époque et de ses enjeux. Parce qu’ils en connaissent la portée, parce qu’ils sont conscients des obstacles qui se présenteront à eux dans leur évolution, ils peinent à se reconnaître dans la démarche universaliste et humaniste propre à l’académisme. L’absence de lien avec le «concret» de leur réalité accroît leur sentiment de ne pas faire partie du monde de ceux qui y trouvent un intérêt.

« Collège et tout, c’est ennuyeux, c’était pas fait pour moi. Tu dois apprendre des trucs que tu dois oublier dans un mois, ça sert à rien que j’apprenne ça. J’aurais aimé un cours utile. Tu veux faire quoi plus tard, on se décide et on apprend des compétences par rapport à ce métier», «En mode ça sert à rien de perdre son temps à apprendre des trucs qui servent à rien. Mon employeur va pas me demander tu as lu quel livre, tu sais conjuguer tel verbe. Un livre de 50 pages avec que des mots, ça nous intéresse pas, c’est que la prof que ça intéresse. Je veux bien lire un livre qui va me donner des conseils dans la vie » (ML)

« Je voudrais juste travailler à mes 18 ans, je voulais un travail, à l’usine, ça sert à rien qu’on me forme » (QM)

« Ce qu’on apprend ne sert à rien », « Les SVT, ça sert à rien, sauf la partie sur la sexualité », « En maths, on a parlé des x, des y. On nous parle de trop de choses qui servent à rien. Le théorème de Thalès, ça sert à rien… si je peux esquiver les maths… » (SMV)

 

  • La poly-exclusion 

Les jeunes racontent avec une forme de résignation, de fatalisme et d’indifférence, les exclusions successives qu’ils ont vécues. Ils énumèrent les différents collèges par lesquels ils sont passés comme s’il s’agissait d’une grande banalité. Nombre de collèges entre la cinquième et la troisième : « environ 7-8 – […]. J’avais juste mal à la tête, et fallait me lever tôt. » (QM).

Le sentiment d’une forme de déterminisme pèse sur l’analyse qu’ils font de leurs multiples exclusions. Au cycle 4, l’exclusion progressive du système apparaît comme inéluctable. Le conseil de discipline est une instance qui acte un état de fait. Tout y serait joué d’avance : le monde des adultes, le monde de l’institution scolaire aurait déjà pris la décision. L’organisation d’un conseil ne serait plus qu’un simulacre, destiné à donner une forme procédurale à ce qui a été tranché bien en amont.

« J’y allais pas. Je savais [au sens de : ne voyais] pas à quoi ça servait d’y aller. » [Relance : une chance de vous défendre?] « Quand on arrive là-bas, y z’ont déjà leur décision dans la tête. Je savais qu’ils m’écouteraient pas » (QM)

 

  • L’orientation : l’impossible soutien des familles

Le soutien dont bénéficient les jeunes de milieux sociaux plus proches de la réalité académique et du système scolaire (devoirs maison, préparation à des échéances symboliques et/ou décisives) est présenté comme étranger au quotidien scolaire des jeunes en rupture. Pour ces jeunes, ce qui échoit aux familles et qui est accompagné sans difficulté constitue un obstacle supplémentaire dans leur scolarité et les stigmatise toujours davantage :

« Ma mère, elle est pire que moi. Elle peut pas m’aider pour les devoirs. Les profs devraient donner des devoirs que l’élève est apte à faire. Ou bien les faire à l’école. Ou bien donner peu de devoirs », « Le pire c’est les devoirs à la maison notés alors que nos parents ne peuvent pas nous aider » (SMV)

Le moment de l’orientation, en particulier en fin de troisième, cristallise tout le désarroi des jeunes et des familles qui se retrouvent face à la complexité d’un système dont ils soulignent le caractère impénétrable et dont ils se sentent une fois de plus exclus. Les méandres de l’orientation constituent donc un obstacle insurmontable et mènent à une orientation subie, peu propice à les aider à construire un projet solide.

« Jusqu’au lycée, en troisième, je savais pas quoi faire. Les profs m’ont emmené au CIO, avec l’ONISEP et tout, même après ces rendez-vous je savais pas quoi mettre pour mes vœux. Je suis retourné voir le conseiller, puis j’ai mis des vœux au pif. [Quel âge aviez-vous?] J’avais 15 ans et pas d’orientation, alors ils m’ont mis au lycée M. [une classe passerelle que le jeune n’arrive pas à nommer]. Puis ils m’avaient parlé du CAP peinture au C. Et je savais pas quoi faire après ça. Et après 16 ans, tu peux arrêter l’école. [Rectification – obligation de formation pour les jeunes de 16 à 18 ans]. On a essayé, avec des listes avec plusieurs métiers, et tout. Je savais pas quoi faire.» 

[votre famille pour cette réflexion?] « Non, la famille, ils ont pas fait attention à l’école. Et ma mère, elle parle pas français » (ML)

« Mes parents, y savaient pas », (QM)

 

  • Les oubliés 

Les jeunes décrocheurs sont sollicités par leur établissement d’origine et par le système. Mais à un moment donné, les relances s’arrêtent et ces jeunes tombent dans l’oubli. Après un premier soulagement, voire de la satisfaction, ils se sentent abandonnés. La situation dans laquelle ils se trouvent de facto vient conforter le déterminisme initial dont ils avaient conscience. Le système les oublie, car ils n’en ont jamais réellement fait partie.

« Non, j’ai abandonné. Ils nous laissent tomber quand y voient qu’on n’est pas capables de faire des choses », «J’ai fait trois demandes, mais ils m’ont refusé. Trois établissements à C… Au début, j’étais content, puis j’étais moins content. Je voyais des gens acceptés, j’étais le seul à pas être accepté.  Et Madame, si l’école c’est obligatoire, pourquoi y m’ont pas mis ? Pourquoi alors y m’ont pas affecté ? » (QM)

 

  1. En guise de conclusion

Selon les jeunes, l’École gagnerait à évoluer en donnant davantage de sens aux apprentissages, en garantissant des relations scolaires bienveillantes entre élèves, mais aussi entre élèves et adultes, en donnant une place plus importante à l’activité physique quotidienne, en abandonnant l’approche par les notes et la mise en concurrence visible entre élèves.

Il est frappant de constater que les paroles des jeunes décrocheurs se recoupent avec les résultats de la recherche et les courants de réflexion menés dans le domaine de la formation et des sciences de l’éducation. Ces propos sans concession sur l’École renforcent l’importance de la prévention, qui dépasse le repérage de signaux de décrochage et la réponse par des actions ciblées sur l’individu et non sur le système.

Les professionnels de l’éducation, à l’aune des propos recueillis dans cet article, pourront questionner les pratiques pédagogiques courantes et les interactions qui concourent à l’accrochage ou au contraire au décrochage. Il n’est pas question de stigmatiser une sous-population d’élèves mais au contraire de concevoir une École réellement inclusive. Le regard que tout pédagogue porte sur l’élève est dans ce contexte plus que jamais fondamental ; il renvoie à ce soutien indéfectible et sans condition auquel tout élève a droit.[1]

 

Cécile-Eugénie CLOT

IA-IPR – Académie Strasbourg

Natacha FERLAC

Professeure des écoles spécialisée – Formatrice  université de La Rochelle

Fabien MARMONIER-LECHAT

Inspecteur de l’Éducation nationale

 

[1] : Les auteurs remercient Frédérique Weixler pour sa précieuse contribution à la rédaction de ce texte.


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“L’éducation des garçons constitue-t-elle un angle mort du système scolaire français ?” par Antonin CODUYS

L’éducation des garçons constitue-t-elle un angle mort du système scolaire français ?

Antonin CODUYS

L’un des facteurs qui agit le plus sur le climat d’un établissement scolaire semble paradoxalement peu abordé par les politiques publiques en matière d’éducation : le rôle des élèves garçons. À juste titre, des politiques ambitieuses ont été déployées pour favoriser l’accès des filles à des filières d’enseignement supérieur réservées culturellement aux garçons. Mais l’influence considérable des garçons dans la détérioration du climat scolaire, et conséquemment leur plus grande faiblesse dans l’acquisition des apprentissages, ainsi qu’une orientation vers des filières moins valorisées socialement, restent traitées de manière marginale. Comment remédier à cette donnée essentielle dont l’impact apparaît non seulement immédiatement perceptible dans n’importe quel établissement scolaire, mais s’avère fondamental pour l’ensemble du système éducatif français ?

Partant d’un constat local et tout à fait empirique, nous avons souhaité nous appuyer sur quelques études pour démontrer, d’une part, l’échec scolaire important des élèves garçons, et d’autre part, leur rôle prépondérant dans la perturbation du climat scolaire. Comment donc considérer cette question masculine comme un enjeu spécifique qui entraîne des répercussions sur la progression de tous les élèves ? Pour approfondir cette question, nous nous appuierons principalement sur la place des élèves garçons dans le second degré, en particulier aux âges charnières du collège, et nous pourrons, occasionnellement, mentionner le collège où nous travaillons en tant que chef d’établissement adjoint, lequel comprend 610 élèves au centre d’une petite ville[1].

Des élèves garçons moins bien orientés et davantage en difficultés scolaires

Ce qui s’observe à l’échelle d’un établissement n’est pas toujours vérifié par l’ensemble des données statistiques fournies par la DEPP (Filles et garçons sur le chemin de l’égalité, 2024, DEPP). Et pourtant, en l’espèce, les chiffres convergent. À l’échelle nationale, en 2023, les filles s’orientaient massivement en seconde GT (72 %) au palier post-troisième. À l’inverse, les garçons n’étaient que 58 % à emprunter la voie générale et technologique. Cet écart est identique à celui que nous observons au sein de notre établissement scolaire sur les quatre dernières années. Il varie de 12 à 16 points en faveur des filles (données issues de l’application statistique Archipel). Pour les élèves garçons, cela induit une orientation plus forte dans la voie professionnelle sous statut scolaire, mais également des taux de redoublement supérieurs en troisième, une prédilection plus marquée pour la voie agricole, et surtout, le plébiscite de l’apprentissage. Ces différences face à l’orientation peuvent être interprétées comme le signe d’un malaise masculin à l’École, qui se traduit par une attitude d’opposition, voire d’hostilité, dirigée contre l’apprentissage scolaire et tous ses corollaires : la construction d’un parcours éducatif cohérent, l’acquisition d’un diplôme supérieur, l’appréhension de l’École comme facteur d’émancipation sociale.

Ce ne sont naturellement pas les seules données statistiques que l’on peut exploiter. En amont de l’orientation, les difficultés des garçons par rapport au travail scolaire apparaissent de manière évidente. On les perçoit en conseils de classe, dans la proportion de mises en garde travail qui leur sont attribuées, mais également à travers le phénomène de l’absentéisme scolaire. À ce titre, 9 % des garçons sortent précocement du système scolaire contre 6 % pour les filles (ibid.), et ce, alors que l’École a investi massivement et légitimement dans la lutte contre le décrochage scolaire, depuis l’objectif posé par le Conseil européen en 2010 de faire passer le taux d’abandon scolaire sous les 10 %. Les difficultés des élèves garçons se manifestent également par un plus faible taux de réussite aux examens. En 2023, on ne comptait que 75 % de bacheliers garçons contre 84 % pour les filles. Les filles ont des taux de réussite supérieurs dans tous les bacs et reçoivent davantage de mentions. Au collège, elles réussissent également mieux le DNB (90 % d’obtention contre 85 % pour les garçons). Ces éléments se répercutent naturellement dans l’enseignement supérieur puisque seuls 22 % des garçons obtiennent des diplômes supérieurs (doctorat, master) contre 30 % chez les élèves filles. De manière plus inquiétante, la grande difficulté scolaire se concentre aussi chez les garçons puisque 62 % d’entre eux formaient les effectifs de SEGPA en 2017 (DEPP, 2017, NI 17.02).

Dans une note d’information de la DEPP parue en 2016 (Note d’information, n°31, Novembre 2016, DEPP) qui s’appuie sur une enquête nationale de victimation, les écarts vis-à-vis du travail scolaire sont exposés de manière saisissante entre les filles et les garçons au lycée :

  • Sentiment vis-à-vis de l’apprentissage « bon ou très bon » : 81,4 % (garçons) / 86,7 % (filles).
  • Attitude attentive en cours « forte ou très forte » : 75,6% (garçons) / 83,2 % (filles).
  • Attitude vis-à-vis de la prise de notes « bonne ou très bonne » : 71,4 % (garçons) / 85,5 % (filles).
  • Au moins deux heures hebdomadaires dédiées au travail scolaire : 50,5 % (garçons) / 68,7 % (filles).

Ces éléments démontrent le manque d’appétence des élèves garçons pour le travail scolaire et met en lumière leurs difficultés propres. Mais c’est aussi le signe d’un groupe qui ne s’intègre pas pleinement dans les codes scolaires et qui, parfois, vient durablement les remettre en cause.

Des élèves garçons plus perturbateurs et sanctionnés plus durement

Dans notre établissement scolaire, 92 sanctions ont été données en 2023-2024. 83,7 % d’entre elles concernaient des élèves garçons. Non seulement les garçons sont plus perturbateurs, mais la gravité des infractions qu’ils commettent est plus importante. Ainsi, les garçons sont davantage impliqués dans les violences physiques. Selon la note de la DEPP citée plus haut (Filles et garçons sur le chemin de l’égalité, 2024, DEPP), 50 % des garçons déclarent avoir été victimes de bagarre en primaire et 20 % au collège (contre 22 % et 10 % pour les filles).

Au lycée, les garçons sont 57 % à déclarer avoir reçu une punition ou une sanction au cours de l’année scolaire contre 39 % pour les filles. La proportion est supérieure à tous les niveaux (Note d’information, n°31, novembre 2016, DEPP) :

  • Retenue : 35,6% (garçons) / 22,4 % (filles).
  • Exclusion de cours : 24,7% (garçons) / 13,1% (filles).
  • Avertissement : 14,3 % (garçons) / 7,4 % (filles).
  • Exclusion temporaire de l’établissement : 5,9 % (garçons) / 1,8 % (filles).

En revenant à de l’observable, on note que les garçons sont aussi plus sujets à des conduites à risque, lesquelles se tournent d’ailleurs plutôt vers les autres que vers soi. Dans la vie quotidienne d’un collège, ils défient davantage l’autorité et s’inscrivent dans un collectif (une « bande ») qui peut perturber durablement le climat scolaire. La relation à l’adulte est parfois entachée de défiance, ce qui implique une mobilisation plus importante de la communauté éducative pour quelques élèves garçons (réunions, entretiens, commissions éducatives, etc.). Dans la construction de leur identité masculine, l’affirmation de soi peut passer par une remise en question du cadre scolaire et de ses règles. Ce faisant, il en résulte, pour l’ensemble des élèves, de fortes perturbations qui ébranlent le système scolaire et, en particulier, la vocation de celui-ci à garantir « l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales » (article L111-1 du Code de l’Education). Car ce sont bien les élèves les plus fragiles qui souffrent en premier lieu du désordre provoqué par quelques-uns, en ne recevant pas toujours l’attention qu’ils mériteraient de la part des adultes de l’établissement.

Dans un ouvrage intitulé La Fabrique des garçons : sanctions et genre au collège (PUF, 2011), son auteur, Sylvie Ayral, étudie un échantillon de collèges et révèle que les garçons représentent :

  • 79,9 % des élèves punis ou sanctionnés ;
  • 83,7 % des élèves ayant reçu une sanction disciplinaire.

Elle ajoute que plus les sanctions sont graves, plus elles s’adressent à des élèves garçons. Ce travail sociologique aboutit à la mise en avant d’une « hégémonie des valeurs viriles » au collège qui serait permise, notamment, par un « appareil punitif » erratique, contradictoire et inique, favorisant une « asymétrie sexuée » en matière de sanctions. Nous nous éloignons de cette lecture « foucaldienne » du pouvoir à l’École, c’est-à-dire essentiellement négative et porteuse d’inégalités, et où le symbolique semble occuper une place démesurée (les « rites punitifs »). Au contraire, l’École demeure une représentation sociale des égaux politiques, c’est-à-dire des citoyens en devenir, qui s’avère toutefois mise en péril par un comportement frénétique d’élèves garçons mal encadrés, et non une fabrique de la domination masculine, viriliste et injuste.

Quelles pistes pour mieux prendre en compte la question masculine à l’École ?

En acceptant le postulat que les élèves garçons troublent davantage l’équilibre d’un établissement scolaire, la question se pose de parvenir à endiguer cette remise en cause du cadre défini par les adultes. Plusieurs niveaux de réponse se superposent sans doute et la présente contribution n’a d’abord pour vocation que de mettre en lumière l’existence même d’une telle problématique. On peut toutefois conjecturer quelques expédients raisonnables, prémices d’un champ de réflexion qui doit, avant tout, se positionner de manière pratique et utile.

En premier lieu, il s’agit naturellement de bien considérer le problème des difficultés scolaires et des atteintes au climat scolaire comme un fait social résultant particulièrement du comportement de certains élèves garçons. Dès lors, il importe de sortir d’une forme de déni qui viserait à parler du climat scolaire « en général », d’inclure tous les élèves dans des problématiques qui n’en concernent en réalité qu’une minorité. Ce ne sera pas sans difficulté, car, à tous les âges, dans tous les milieux sociaux, partout, les garçons sont très souvent « excusés » pour leur comportement délétère, précisément « parce que ce sont des garçons », qu’ils ont donc des traits propres les poussant à être plus agités et violents. On peut donc poser un syllogisme simple : si les élèves garçons ont des caractéristiques propres qui les poussent à être plus agités et violents, alors il convient de les prendre en compte spécifiquement, et, par conséquent, de ne plus excuser leur comportement si aisément. Il est probable que ce changement de perspective n’adviendra pas sans opposition, en particulier de la part des familles, mais il apparaît essentiel afin que cette problématique puisse sourdre à sa juste place, c’est-à-dire au premier plan des politiques éducatives.

Dans les faits, cela se traduira inévitablement par une plus grande sévérité dans l’encadrement des jeunes élèves garçons, la répréhension systématique, même à un jeune âge, du premier fait contestant le cadre scolaire. Cela passera également par la construction de modèles masculins vertueux, tempérants et persévérants, c’est-à-dire l’édification d’une image positive de la masculinité (réfléchie, scolaire, sportive). Il n’y a aucune raison que ces qualités soient naturellement absentes des garçons. Un encadrement plus strict et tenant compte spécifiquement des velléités masculines pourra en faire émerger des exemples édifiants. Si la gestion des émotions apparaît comme un fait essentiellement culturel, il faut donc revenir à des techniques de contrôle de l’émotion socialement acceptées, encadrées et diffusées au plus grand nombre. En effet, que l’École accepte sans rien dire les colères d’un élève garçon, pose les jalons d’une défiance vis-à-vis du cadre posé par les adultes, qui autorisera ensuite les perturbations du climat scolaire, renforcées par l’édification fantasmée de la « bande » et du « rebelle ». Mieux gérer les émotions et les frustrations, canaliser l’agitation, tarir les fausses révoltes sans complaisance, autant d’enjeux dont la résolution pourra s’appuyer sur la constitution d’un idéal masculin pacifié, l’encouragement au dépassement de soi, la valorisation des réussites dans le cadre scolaire.

Plutôt que le développement d’un ensemble de solutions face à une problématique si complexe – solutions qu’il est d’ailleurs plus facile d’énoncer que de mettre en œuvre –, nous avons voulu éclairer un fait social qui, paradoxalement, n’occupe pas la place qu’il mériterait, selon nous, dans les politiques publiques éducatives. Assurément, cette problématique se dévoile comme un facteur parmi d’autres, à l’instar des déterminismes sociaux par exemple, et elle ne touche qu’une minorité d’élèves garçons turbulents et en difficulté scolaire. Néanmoins, celle-ci s’est tellement étendue dans les établissements scolaires qu’il devient urgent de lui redonner une place légitime dans le débat public.

 

Antonin CODUYS

Principal adjoint

Collège Jean Jaurès à Nogent-sur-Seine (Aube)

 

[1] Recrutement urbain et rural. IPS de 95,7. Indice d’éloignement de 106,1. Taux d’élèves boursiers de 16 %. Milieux sociaux très favorisé et favorisé (28,9 %), moyen (25 %) et défavorisé (46,1 %).

 

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“Le leadership pédagogique : tentative d’éclairage pour un concept aux mille facettes” par Elodie MURIER, Laetitia PROGIN et Luc RIA

Le leadership pédagogique :
tentative d’éclairage pour un concept aux mille facettes

Elodie MURIER

Laetitia PROGIN

Luc RIA

Si un consensus semble se faire aujourd’hui sur l’intérêt porté à l’exercice du leadership dans le pilotage des organisations publiques, le leadership demeure néanmoins une notion aux contours flous et relativement variables, d’une culture à une autre, d’une époque à une autre, d’un courant à un autre et enfin d’un auteur à un autre.

Cette difficulté se retrouve dans le contexte scolaire, où les personnels de direction sont aujourd’hui appelés à renouveler leurs pratiques, à développer leur leadership, en exerçant notamment, au sein de leur établissement, un leadership pédagogique au service de la réussite des élèves. Cette prescription institutionnelle est illustrée par le colloque à destination des cadres scolaires, organisé en décembre 2023 par l’Institut des hautes études de l’éducation et de la formation (IH2EF) : « Enjeux et défis du leadership pédagogique et scolaire au XXIe siècle ». Que recouvre exactement le concept de leadership dans ce contexte éducatif ? Dans quelle mesure le leadership pédagogique se distingue-t-il du leadership scolaire ou bien encore du leadership éducatif ? Quels liens ou quelles équivalences pouvons- nous établir avec le school leadership dans la littérature anglophone ? Par ailleurs, les études soulignent l’intérêt de penser le leadership pédagogique dans sa dimension collective pour engager l’ensemble des acteurs en faveur de la réussite scolaire et éducative des élèves. Ainsi, cela nous amène à nous interroger sur les concepts de leadership partagé et de leadership distribué.

Notre contribution s’attachera à éclairer ces différentes notions dans le cadre du système éducatif, nous soulèverons les éventuels malentendus qui peuvent accompagner leur mobilisation et ainsi faire écran à une intelligibilité commune, nécessaire pour faire de ces concepts de véritables leviers d’action.

Leadership et management dans les organisations scolaires : de quoi parle-t- on ?

Tentons une première définition du concept de leadership avant de présenter quelques- unes de ses déclinaisons. Issue des théories des organisations et du monde du management, la notion de leadership, lorsqu’elle est appliquée aux organisations scolaires, se confond souvent avec celle de management sans que l’on sache toujours les distinguer l’une de l’autre. Leurs définitions sont nombreuses et difficilement réductibles à un sens univoque. Néanmoins, certaines nuances entre elles peuvent éclairer notre compréhension. Nous pouvons notamment rapprocher le leadership de la gestion du changement et de ce que cela entraîne  en termes de gestion des relations humaines, tandis que le management sera davantage lié à la gestion d’une organisation complexe, autant à l’échelle des ressources humaines, que des ressources matérielles, ou bien encore de l’organisation du travail. Ainsi, leadership et management ne s’opposent pas, mais apparaissent davantage complémentaires. Cette distinction nous parait d’autant plus pertinente à relever qu’elle permet aussi d’expliquer la tendance actuelle incitant les cadres scolaires à exercer un véritable leadership, dans un contexte de changement organisationnel particulièrement marqué.

Dans cette approche, plusieurs traits caractéristiques se détachent des définitions proposées par différents auteurs. Nous pouvons tout d’abord souligner qu’aujourd’hui le leadership est avant tout conceptualisé comme un processus d’influence interactionnel. Cette influence peut être exercée non seulement par des leaders formels – comme c’est le cas des personnels de direction, dont la fonction induit une forme d’influence liée à leur statut hiérarchique –, mais également par des leaders informels, autres membres de la communauté éducative appelés à exercer, consciemment ou non, une forme d’influence. De ces traits caractéristiques émergent deux autres dimensions du leadership : son caractère instable, contingent, car étroitement lié au contexte, et sa dimension collective, sur laquelle nous reviendrons.

Autour du leadership pédagogique

Nombre de qualificatifs gravitent autour du terme leadership, et son utilisation en sciences de l’éducation n’échappe pas à ce phénomène. Les premières études sur le leadership proviennent du monde anglosaxon où le school leadership, utilisé dans un sens générique, inclut diverses formes de leadership cherchant à agir sur le système scolaire. La traduction française utilisée est souvent celle de leadership scolaire. Ainsi, à l’instar du school leadership, le leadership scolaire recouvre une portée générique, ne se rattachant pas à un cadre théorique précis mais désignant l’ensemble des formes de leadership s’exerçant dans un contexte scolaire, influant sur les résultats mais aussi le bien-être des élèves et des personnels.

Dans cette comparaison, l’expression educational leadership, issue des articles anglophones, se traduit par leadership éducatif dans la littérature francophone. Dans un certain nombre d’écrits, ces deux concepts recouvrent un sens générique au même titre que school leadership ou leadership scolaire. Néanmoins, à la lecture de certains articles, nous pouvons nous demander si l’appellation d’educational leadership – et de la même manière pour le leadership éducatif – n’orienterait pas davantage notre regard du côté du collectif et d’un exercice du leadership partagé au sein de la communauté éducative, intégrant notamment les parents. Le choix du qualificatif éducatif mettrait donc en avant cette idée de communauté. Cependant, comme nous l’avons remarqué, leadership éducatif est relativement peu employé.

L’expression leadership pédagogique est aujourd’hui de plus en plus utilisée. Si le leadership pédagogique peut désigner lui aussi toute forme de leadership scolaire, il correspond aussi à un modèle théorique clairement défini. Ce concept s’est développé au début des années 1980, lorsque la question de l’efficacité des écoles s’est posée dans un contexte de nouveau management public ; l’intérêt s’est alors porté sur l’influence que les directions d’établissement pouvaient exercer sur l’enseignement et l’apprentissage, et in fine sur les résultats des élèves. En cela, le leadership pédagogique peut être rapproché de l’instructional leadership, dont il est souvent utilisé comme la traduction, concept développé par Hallinger et ayant rencontré un grand succès en sciences de l’éducation (Hallinger, 2005).

Cependant, cherchant à élargir son analyse à l’ensemble des acteurs, et non plus aux seuls membres des équipes de direction, Hallinger reprend et développe quelques années plus tard un nouveau modèle, le leadership for learning (Hallinger, 2011). À travers ce nouveau modèle, le focus ne se fait plus uniquement sur le leader formel, il se démultiplie pour s’intéresser à toutes les sources de leadership se déployant au sein d’une organisation scolaire. Si Progin et Breithaupt proposent une traduction francophone de ce nouveau concept à travers la dénomination leadership axé sur les apprentissages (Progin & Breithaupt, 2021), celle-ci ne semble pas encore s’être imposée. Ce dernier concept semble pour l’instant plutôt avoir été intégré au leadership pédagogique, qui se décline dès lors en deux approches différentes, concentrée ou distribuée. Alors que l’approche concentrée se focalise sur le rôle des leaders formels, l’approche distribuée s’intéresse à l’ensemble des acteurs, leaders formels et informels. Ce nouveau modèle entre en résonance avec les théories du leadership qui se développent dans les années 2000, et qui envisagent le leadership comme un phénomène social et collectif, le définissant comme un processus d’influence dynamique, instable et partagé entre les différents membres d’une organisation. Dès lors, qu’ils adoptent une approche analytique concentrée ou distribuée, les théoriciens s’accordent aujourd’hui sur cette dimension collective intrinsèque au concept de leadership, et le leadership scolaire participe de ce consensus (Garant & Letor, 2014; Normand, 2022; Progin & Breithaupt, 2021).

Autour du leadership distribué

Depuis plusieurs années, nous assistons à l’essor de deux modèles conceptuels associant le leadership au collectif : le leadership partagé et le leadership distribué, mais de nouveau la frontière entre les deux peut s’avérer relativement confuse.

Le leadership partagé apparaît comme la traduction du shared leadership anglophone. Très usitée, cette notion désigne, en première approximation, toute forme de leadership exercé collectivement. À cela, s’ajoute un sens plus restreint, celui d’un leadership intentionnellement partagé. Soulignons qu’en ce sens, son utilisation est souvent confondue avec celle de leadership distribué. Si cette vision du leadership est fondée sur un exercice collectif, cela n’empêche pas le rôle des leaders formels, dans la mesure où ceux-ci, par l’exercice de leur propre leadership, peuvent emmener les membres de leurs organisations à exercer le leur. De plus, un certain nombre d’auteurs insistent sur la contingence du leadership partagé : il y a un « temps » et un « endroit » pour partager le leadership, il s’agit de saisir le moment opportun, ce que les Grecs anciens désignaient à travers la notion de kaïros. Sur une temporalité à long terme, le leadership partagé serait amené à transformer l’organisation du travail ; c’est dans cette perspective que nous pouvons situer son usage prescriptif.

Si leadership partagé et leadership distribué sont parfois employés comme synonymes, le leadership distribué se rattache davantage aux sciences de l’éducation. C’est le modèle qui, compte-tenu du succès des travaux de Spillane, s’est imposé au cours de la dernière décennie.

Le modèle de Spillane revêt une dimension analytique. C’est à l’aune de ce modèle théorique qui s’est imposé que s’effectuent aujourd’hui la plupart des recherches sur l’exercice du leadership au sein d’une organisation scolaire. Cet usage analytique est à inscrire dans une double approche, concentrée et distribuée. Dans une approche concentrée, le focus est fait sur les leaders formels, mais intégrant néanmoins la vision d’un leadership partagé au sein de l’organisation. Une partie importante des analyses portant sur le leadership pédagogique s’inscrit dans cette perspective, en se focalisant sur les chefs d’établissement et sur leur capacité à distribuer les responsabilités et le pouvoir d’agir autour d’eux.

Dans l’approche distribuée, théorisée par Spillane et rattachée à l’analyse de l’activité et au courant de la cognition située, le leadership est pensé à travers l’interaction entre les leaders, les affiliés et la situation (Spillane et al., 2008). Il s’agit de voir dans quelle mesure les processus d’influence entre ces trois entités participent à la transformation de chacune. Le succès de ce modèle analytique s’explique par l’adéquation de ce dernier avec le phénomène qu’il cherche à analyser. À partir du moment où le leadership n’est plus attaché à la notion d’individu, mais qu’il se rapporte aux processus interactionnels, il convient effectivement de le penser en l’envisageant sous la forme d’un couplage entre les différents acteurs et le contexte dans lequel se déroule l’action. De ce modèle, se dégage un double postulat énoncé par Progin et Perrenoud « d’une part, le pouvoir est inconstant et relatif et, d’autre part, chaque personne peut exercer de l’influence sur l’un ou l’autre des dossiers, des projets ou des situations, quels que soient son statut et son niveau de responsabilité » (Progin & Perrenoud, 2018, p.36). Comme nous l’avons déjà esquissé, la complexification croissante des organisations scolaires et la capacité d’adaptabilité de plus en plus développée qu’elle engendre, appellent de plus en plus l’exercice d’un leadership distribué, et par conséquent une analyse située de ce dernier. Notons que ces deux approches, concentrée et distribuée, ne sont pas exclusives, et qu’elles peuvent par conséquent se compléter.

Pour conclure, nous aimerions souligner un paradoxe. Si le succès du leadership pédagogique et du leadership distribué en fait aujourd’hui des objets au cœur du débat et de la réflexion menée pour l’amélioration de l’efficacité des organisations scolaires, ne serait-ce pas justement cet engouement généralisé qui participerait en partie à cette confusion sémantique que nous avons tenté d’éclairer ? Ce travail de clarification nous paraît essentiel, dans un contexte français où l’activité des personnels de direction est actuellement soumise à une prescription institutionnelle très forte. À l’heure où ils se doivent de mettre en place des groupes de niveaux au collège, nous pouvons nous demander si ce contexte constitue un frein à l’exercice de leur leadership pédagogique, dans la mesure où celui-ci se trouverait empêché par une prescription contraire aux valeurs qu’ils portent, ou bien si, au contraire, l’exercice d’un leadership pédagogique et distribué peut constituer un levier d’action sur lequel les personnels de direction pourraient s’appuyer pour faciliter leur activité, engager les équipes auprès d’eux afin d’élaborer des solutions collectives qui permettent de dépasser les défis imposés par le contexte actuel.

Elodie MURIER

Doctorante IFÉ-ENS de Lyon, Laboratoire ICAR, dans le cadre d’une recherche financée par l’IH2EF

Laetitia PROGIN

Professeure associée, HEP Vaud (Suisse)

Luc RIA

Professeur des universités, IFÉ-ENS de Lyon, Laboratoire ICAR

Références

Garant, M., & Letor, C. (2014). Encadrement et leadership (De Boeck). https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782804184797-encadrement-et-leadership

Hallinger, P. (2005). Instructional Leadership and the School Principal : A Passing Fancy that Refuses to Fade Away. Leadership and Policy in Schools, 4(3), 221‐239. https://doi.org/10.1080/15700760500244793

Hallinger, P. (2011). Leadership for learning : Lessons from 40 years of empirical research. Journal of Educational Administration, 49, 125‐142. https://doi.org/10.1108/09578231111116699

Normand, R. (2022). Le leadership du chef d établissement—PDF Téléchargement Gratuit. Docplayer. https://docplayer.fr/200745005-Le-leadership-du-chef-d-etablissement.html

Progin, L., & Breithaupt, S. (2021). Chapitre 3. Le leadership axé sur les apprentissages : Sous quelles formes et à quelles conditions ? In Les directions d’établissement au cœur du changement (p. 69‐86). De Boeck Supérieur. https://doi.org/10.3917/dbu.progi.2021.01.0069

Progin, L., & Perrenoud, O. (2018). Le leadership : Un processus distribué au sein des établissements scolaires? Le cas de la Suisse francophone. Éducation et francophonie, 46(1), 33‐49. https://doi.org/10.7202/1047134ar

Spillane, J. P., Halverson, R. R., & Diamond, J. (2008). Théorisation du leadership en éducation : Une analyse en termes de cognition située. Éducation et sociétés, 21(1), 121‐149. https://doi.org/10.3917/es.021.0121

 

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“La difficile conquête de l’autonomie collective” par Alain BOUVIER

La difficile conquête de l’autonomie collective

Alain BOUVIER

Au moment où le sujet de l’autonomie des établissement scolaires est redevenu un sujet d’actualité qui provoque de sains débats, il est intéressant d’observer comment, en France, cette idée a politiquement et discrètement glissé de la gauche vers le centre-droit et la droite, sans pour autant renier ses origines. Désormais, ni de gauche ni de droite, elle est bien dans l’air du temps !

 Très tôt, après mai 1968, l’idée d’autonomie collective fut mise en avant par de nombreuses associations professionnelles comme le GFEN, les Cahiers pédagogiques, Éducation et Devenir, mais aussi les syndicats réformateurs. C’était alors clairement un thème de gauche, présent dans les rapports rédigés à la demande d’Alain Savary, par Antoine Prost sur les lycées, Louis Legrand sur les collèges, André de Peretti sur la formation, rapports qui eurent les succès relatifs que l’on sait.

Plus tard, l’idée fut reprise par des ministres parfois d’un autre bord politique, comme Christian Beullac ou René Monory, mais aussi plus récemment, par Najat Vallaud-Belkacem, puis aujourd’hui par Emmanuel Macron. Il faudrait donc plusieurs pages pour décrire, affiner et analyser cette évolution politique qui s’est faite par étapes et qui sans doute doit beaucoup aux sciences de gestion, discipline universitaire mondiale très active.

Notons qu’à partir de 1983, durant les vingt années des trois vagues de décentralisation, fut mise en avant l’importance du local et de la proximité, des thèmes chers aux innovateurs engagés aujourd’hui. On peut noter qu’alors (sauf exception avec les ZEP), la majorité des sujets donnant aux acteurs de terrain des marges d’autonomie collective à employer comme ils le souhaitaient, ont eu une courte durée de vie : les 10 %, les PAE, les démarches de projet, le contrôle continue des connaissances, les TPE, la formation continue des enseignants, etc. Ils étaient souvent créés par un ministre, à peine tolérés par son successeur et supprimés par le suivant, indépendamment de leurs options politiques. À l’Éducation nationale, ainsi va le cycle des innovations institutionnelles lorsqu’elles ont pour but de favoriser l’autonomie collective. Notons, au passage, qu’il y aurait long à écrire sur l’innovation, cette idée proche et qui révulse les statuquologues !

Des virages politiques se sont succédé après les années 1980, à travers les démarches de projet, la communication et l’évaluation des politiques publiques. Sur ce dernier point, si l’on en croit le N°178 d’Administration et Éducation que l’AFAE vient de publier, à l’Éducation nationale, en quarante ans, on ne discerne aucun progrès, malgré l’impulsion initiale donnée par ce que l’on nomme « la circulaire Rocard ».

Observons encore qu’en 2000, avec le vote à l’unanimité d’une loi organique des lois de finances, la LOLF, il fut préconisé que tout le secteur public se mette à pratiquer un pilotage par les résultats. Ce concept fut très lent à pénétrer le monde scolaire, enclin à avoir les yeux plus rivés sur le passé que vers le futur. Pourtant, sur le terrain, qui ne vise pas la qualité, voire l’excellence des résultats des actions qu’il conduit ? Pourquoi, aussitôt, chaque enseignant ne s’en est-il pas emparé ? Ce mouvement quasi mondial connut suivant les pays et les périodes qui suivirent, de multiples variantes tenant aux cultures et à l’Histoire de chaque lieu.

L’idée d’autonomie collective

Depuis vingt-cinq ans, l’autonomie collective est un sujet moins politique et moins administratif au sens étroit du terme, car influencé par les sciences de gestion. Concrètement, nous le savons, le terrain scolaire français est souvent caractérisé par un ventre mou pédagogique voulant bien faire, sans plus, mais heureusement tiré par les actions des innovateurs engagés qui furent très remarqués pendant la crise sanitaire. Une majorité se trouve donc bordée par l’immobilisme paralysant des statuquologues d’un côté et par les dynamiques et entrainants innovateurs engagés de l’autre.

Au printemps, cette idée d’autonomie collective a été replacée sous les projecteurs de l’actualité par le Conseil National de la Refondation (CNR). Il lui donne un spectaculaire coup d’accélérateur. Cette initiative présidentielle ouvre des espaces de liberté collective. Mais certains voient en elle l’influence de ce qu’ils considèrent comme une volonté libérale, sans préciser le sens qu’ils donnent à ce mot valise, même si l’on peut deviner les convictions qui les imprègnent. En fait, l’autonomie collective se situe dans la tension entre les extrêmes politiques, comme si elle ne s’affichait ni de gauche ni de droite, tout en étant partagée entre les initiatives de groupes pédagogiques divers, dont ceux qui prônent l’immobilisme ! Qui donc, aujourd’hui, souhaite voir se développer l’autonomie collective ?

Dans l’École de mes rêves (mon dernier livre), l’innovation et l’autonomie collective constituent l’un des quatre piliers de cette école. Nous sommes tous bien conscients que forger du commun, demande de la volonté collective, du courage, des compétences collectives et surtout le sens des responsabilités et du rendu de comptes, ce qui, actuellement, en règle générale, fait souvent et cruellement défaut sur le terrain. Là est donc le problème.

Le cadre récemment proposé par les pouvoirs publics avec le CNR afin de faciliter les initiatives collectives, n’est-il pas une occasion formidable à saisir, quelles que soient les intentions réelles de ceux qui nous gouvernent et que l’on ne peut pas connaître ? Sans doute est-il une opportunité pour que les innovateurs engagés puissent agir sans être brimés par leurs proches, sans tomber sous les fourches caudines des statuquologues, chantres de l’immobilisme, qui ne font jamais confiance à personne sauf aux circulaires. Pour qu’ils puissent tirer le navire en entrainant les autres avec eux ?

Après soixante-dix ans d’uniformité stérile et génératrice d’iniquité croissante, le temps est venu de donner une chance aux équipes dans les établissements, à charge pour l’État d’assurer la régulation de l’ensemble. Il devra donc apprendre à le faire, ce qui me semble bien au-delà de ses savoir-faire actuels. C’est aux antipodes de la culture bureaucratique wébérienne.

Comme le fait remarquer Jean-Charles Ringard : « il ne peut y avoir ni autonomie sans responsabilité, ni responsabilité sans évaluation, ni évaluation sans conséquence ». L’autonomie collective est donc une redoutable conquête à mener ! Mais pour tous, quelle formidable opportunité d’apprentissages. Je ne résiste pas à l’envie de citer un écho de J.F. Kennedy, que m’a aimablement soufflé Claude Bisson-Vaivre : « Je me demande si l’autonomie collective n’est pas plus une nouvelle frontière à atteindre qu’un défi à relever ». Et s’il avait raison ?

Recteur Alain BOUVIER

Professeur associé à l’université de Sherbrooke

Ancien président de l’AFAE

Septembre 2023

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“Auto-évaluation des EPLE et organisations apprenantes” par Sophie COLOGNAC

Auto-évaluation des EPLE et organisations apprenantes

Sophie COLOGNAC

 

Dans le cadre d’un mémoire de fin d’études de Master MOP (management des organisations publiques) préparé à l’IAE de Nancy sous la direction de Géraldine THEVENOT, maîtresse de conférences, nous avons mené une recherche destinée à évaluer l’impact des évaluations systématiques des EPLE mises en place au cours de l’année scolaire 2020-2021 et notamment l’évolution potentielle vers des organisations apprenantes. Cet article présentera le contexte de l’étude et l’interrogation initiale puis dressera l’état de la question concernant quelques effets de l’évaluation en France et ailleurs. Ensuite une rapide approche théorique des organisations apprenantes précèdera la présentation de l’étude empirique support du mémoire, la méthodologie employée ainsi que les principaux résultats et conclusions obtenus. Enfin, il s’achèvera par les prolongements possibles et les biais liés à l’étude.

 

  1. Contexte de l’étude 

            Pour la première fois en France, à partir de la rentrée scolaire 2020, une évaluation systématique des EPLE est prévue tous les 5 ans. Chaque année, ce sont donc 20 % des EPLE qui seront évalués en deux phases : une auto-évaluation impliquant toute la communauté éducative (personnels enseignants, non-enseignants, élèves, parents) suivie d’une évaluation externe. Cette évaluation est inscrite dans la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Le conseil d’évaluation de l’école est chargé de définir le cadre méthodologique et les outils d’auto-évaluation et d’évaluation externe. Il établit une synthèse nationale destinée à enrichir le débat public sur l’éducation.

 

  1. Interrogations initiales 

            Cette évaluation peut-elle être utile à l’établissement ? Peut-elle devenir un outil de pilotage pour le chef d’établissement ? L’auto-évaluation va-t-elle conduire les établissements scolaires à devenir des organisations apprenantes ?

 

  1. État de la question concernant les effets de l’évaluation et plus particulièrement de l’auto-évaluation

            Dans la plupart des pays européens, les établissements secondaires sont systématiquement soumis à une évaluation interne souvent combinée à une évaluation externe.

            Au niveau international, une étude a été conduite en 2015 par Mélanie Ehren, professeure à l’Institut de l’Education de Londres (University College) et ses collègues. Cette étude tend à montrer que l’auto-évaluation a des effets positifs sur les apprentissages des élèves et leur réussite scolaire.

            En France, d’autres établissements publics sont déjà soumis à une auto-évaluation suivie d’une évaluation externe : les établissements publics de santé dans le cadre de la certification délivrée par la Haute autorité de santé ainsi que les établissements d’enseignement supérieur. Dans ces deux cas, des études montrent un impact plutôt positif de l’évaluation et particulièrement de la phase d’auto-évaluation.

 

  1. Approche théorique concernant les organisations apprenantes

À partir de recherches bibliographiques et en réalisant les adaptations nécessaires à un EPLE, nous avons choisi de retenir dix critères permettant de définir un établissement scolaire apprenant :

  • le projet : un établissement apprenant a une orientation fortement affirmée, il a un projet, porté par l’ensemble de la communauté éducative ;
  • la prise de conscience : les personnels doivent être conscients qu’il faut apprendre afin d’améliorer le service rendu, l’environnement changeant nécessite cet apprentissage ;
  • la pensée systémique : les personnels doivent avoir une image globale des objectifs, des buts et des aspirations de l’organisation dans son ensemble ;
  • la participation de tous : la prise de décision est basée sur une approche participative (« tout le monde porte un savoir dans l’organisation ») ;
  • l’expérimentation : la définition de la stratégie s’appuie sur l’expérimentation, l’apprentissage, l’esprit critique, le « droit à l’erreur », l’ouverture aux idées nouvelles, l’ouverture à la recherche ;
  • la communication : le système d’information et de communication favorise la compréhension de la situation, le partage de connaissances ;
  • les échanges internes : ils sont favorisés et forment une boucle vertueuse (exploitation des savoirs, capitalisation des savoirs et exploration de nouveaux savoirs…), les acteurs coopèrent pour résoudre des problèmes plus ou moins complexes ;
  • le leadership : la direction favorise un climat d’apprentissage des acteurs en double et triple boucle, ainsi que le management de la connaissance (Knowledge Management, SECI) ;
  • l’évaluation : les procédures d’auto-évaluation et d’évaluation externe renseignent sur les performances (feedback) ;
  • les échanges externes : l’apprentissage se fait aussi par des échanges entre établissements (benchmarking).

 

  1. L’étude empirique

            5.1 Question de recherche et hypothèses de travail

            À quelle(s) condition(s) l’auto-évaluation des EPLE en France vise-t-elle à être un levier au service du manager pour faire évoluer son établissement vers une organisation apprenante  ?

  • Hypothèse 1 : l’évaluation est mieux perçue par l’équipe de direction que par les personnels
  • Hypothèse 2 : l’auto-évaluation peut être un levier au service du manager à condition de pratiquer un management participatif
  • Hypothèse 3 : les effets de l’évaluation ne sont pas perceptibles sur le court terme

            5.2 Présentation du terrain d’étude et de la méthodologie retenue

            Cette étude a eu lieu au cours de l’année scolaire 2021-2022 et a donc ciblé la cohorte des 46 établissements évalués en 2020-2021 dans l’académie de Nancy-Metz.

            Au mois de mars 2022, trois entretiens semi-directifs auprès de trois chefs d’établissements ont permis de préparer un questionnaire unique à destination des équipes de direction, des personnels enseignants et non enseignants des 46 établissements concernés. Ce questionnaire, au format numérique, a été diffusé en avril 2022 (format papier disponible en annexe). Les résultats ont été recueillis le 2 mai 2022, sous forme d’un tableur. N’ayant pas la maîtrise des outils statistiques permettant un travail explicatif, nous nous sommes contenté d’une analyse descriptive.

 

            5.3 Analyse des réponses 

Nb de réponses complètes exploitables115
Nb de répondants en lycée professionnel (sur 4 établissements)32
Nb de répondants en collège (sur 42 établissements)83
Membres de l’équipe de direction31principal/proviseur24 dont 12 nouveaux chefs
principal adjoint/proviseur-adjoint2
 adjoint-gestionnaire4
DDFPT0
directeur de SEGPA1
Enseignants66
Personnels non enseignant18

   Un tri à plat puis un tri croisé nous permettent d’analyser les résultats obtenus d’abord sans différencier les catégories de personnels répondants puis en les différenciant.

 

Retour sur les 10 critères de l’organisation apprenante déterminés par rapport à la littérature consultée :

CritèreAnalyse des résultats de l’étude empirique
Le projet : un établissement apprenant a une orientation fortement affirmée, il a un projet, porté par l’ensemble de la communauté éducative.L’auto-évaluation a permis une meilleure connaissance du projet mais il faudrait vérifier si cela a amélioré l’adhésion à ce projet.
La prise de conscience : les personnels doivent être conscients qu’il faut apprendre afin d’améliorer le service rendu, l’environnement changeant nécessite cet apprentissage.Les personnels sont conscients qu’il y a des situations ou des pratiques à améliorer mais sont très peu enclins à remettre en question leur propre pratique et sont peu volontaires pour se former.
La pensée systémique : les personnels doivent avoir une image globale des objectifs, des buts et des aspirations de l’organisation dans son ensemble.L’évaluation améliore la vision systémique de l’établissement.
La participation de tous : la prise de décision est basée sur une approche participative (« tout le monde porte un savoir dans l’organisation »).Dans la très grande majorité des cas, tout le personnel a été impliqué dans l’évaluation.
L’expérimentation : la définition de la stratégie s’appuie sur l’expérimentation, l’apprentissage, l’esprit critique, le « droit à l’erreur », l’ouverture aux idées nouvelles, l’ouverture à la recherche.L’expérimentation ne semble pas une conséquence à court terme de l’évaluation des établissements.
La communication : le système d’information et de communication favorise la compréhension de la situation, le partage de connaissances.L’auto-évaluation améliore la communication en interne et le partage d’informations.
Les échanges internes : ils sont favorisés et forment une boucle vertueuse (exploitation des savoirs, capitalisation des savoirs et exploration de nouveaux savoirs…), les acteurs coopèrent pour résoudre des problèmes plus ou moins complexes.Les échanges initiés lors de l’auto-évaluation ne semblent pas encore prolongés au-delà d’une simple connaissance mutuelle des missions de chacun.
Le leadership : la direction favorise un climat d’apprentissage des acteurs en double et triple boucle, ainsi que le management de la connaissance (Knowledge Management, SECI).La direction est nettement plus impliquée dans l’évaluation mais saura-t-elle favoriser les apprentissages ?
L’évaluation : les procédures d’auto-évaluation et d’évaluation externe renseignent sur les performances (feedback).La démarche d’évaluation est jugée indispensable.
Les échanges externes : l’apprentissage se fait aussi par des échanges entre établissements (benchmarking).Pour l’instant, aucun effet d’apprentissage par échanges externes n’est notable.

 

Retour sur les trois hypothèses :

  • Hypothèse 1 : l’évaluation est mieux perçue par l’équipe de direction que par les personnels
  • Hypothèse 2 : l’auto-évaluation peut être un levier au service du manager à condition de pratiquer un management participatif
  • Hypothèse 3 : les effets de l’évaluation ne sont pas perceptibles sur le court terme

      Après analyse des résultats, ces trois hypothèses semblent vérifiées.

 

  1. Conclusion

            6.1 Apports, intérêt de cette étude 

            En prenant les précautions qui s’imposent, en raison des biais qui seront évoqués plus loin, nous pouvons conclure que les effets de l’auto-évaluation et plus largement de l’évaluation des EPLE en France, ne sont pas vraiment perceptibles un an après l’évaluation. Néanmoins, c’est avec des équipes de direction convaincues et pratiquant un management participatif, que nous pourrons tenter d’y parvenir.

            Cette étude est a priori l’une des premières réalisées sur ce thème en France car l’évaluation systématique et à grande échelle des EPLE est inédite en France. Pour cette raison, elle mérite des prolongements que nous allons évoquer ci-après.

 

            6.2 Prolongements possibles 

  • Ce type d’étude pourrait être étendu à d’autres académies.
  • Un suivi de la cohorte des 46 établissements étudiés ici pourrait être effectué à N+2, N+3, N+4 jusqu’à N+5, date de la prochaine évaluation. Le questionnaire administré pourrait être identique afin d’apprécier l’évolution sur 5 ans.
  • Une piste à suivre pourrait être l’étude des effets potentiels de l’évaluation sur la performance de l’établissement. La mesure de cette performance est très délicate car elle est mesurée par la réussite des élèves en termes de valeur ajoutée, cette valeur ajoutée étant multi-factorielle donc difficile à imputer à un dispositif plutôt qu’à un autre. C’est pour cette raison que nous avons choisi de rechercher les signes de la mise en place d’une organisation apprenante, ce type d’organisation ayant été lié à une performance accrue dans une étude de 2020, menée par France Stratégie.
  • Un autre angle de vue pourrait être d’étudier les effets de l’évaluation perçus par les usagers élèves et parents (à rapprocher de la certification des établissements de santé, très bien perçue par les usagers). Il nous a manqué du temps dans cette étude et il nous a semblé trop ambitieux de réaliser plusieurs questionnaires.

 

            6.3 Biais et limites 

  • Cette étude aurait été plus rigoureuse en administrant un questionnaire avant l’évaluation et un questionnaire après.
  • L’étude quantitative devrait être corrigée des biais par des méthodes statistiques, ce qui n’a pas été fait ici.
  • Les répondants sont plus susceptibles d’être les personnels les plus impliqués dans la démarche.
  • La première vague d’évaluations s’est déroulée dans un climat particulièrement dégradé par la crise sanitaire. Les personnels étaient fatigués et peu réceptifs malgré l’intérêt manifesté pour la démarche. Elle a souvent été perçue comme « l’injonction de trop » dans un contexte déjà très anxiogène.
  • Les 82 établissements pressentis au départ n’ont pas tous été évalués. Le contexte sanitaire a conduit le recteur à privilégier les établissements volontaires (en excluant d’office tous les lycées généraux et technologiques, alors impliqués dans une réforme de grande ampleur). Ceci peut donc constituer un biais non négligeable, particulièrement en ce qui concerne l’implication des équipes de direction.
  • Nous pouvons constater que 50% des chefs d’établissement ayant répondu à l’enquête étaient nouvellement arrivés à la tête de l’établissement l’année de l’évaluation et nous ne pouvons pas exclure que c’est la dynamique d’un nouveau pilotage qui peut avoir conduit aux quelques effets positifs constatés. Il aurait été intéressant de disposer d’établissements « témoins » pour lesquels il n’y aurait pas eu d’évaluation mais seulement l’arrivée d’un nouveau chef d’établissement afin de mesurer l’impact d’un nouveau management indépendamment de l’évaluation.
  • Sur le long terme, l’évaluation permet-elle la mise en place des prémices d’une organisation apprenante ou au contraire, faut-il déjà que l’EPLE soit une organisation apprenante pour tirer profit de l’évaluation ? Cette question mérite d’être creusée.

 

Sophie COLOGNAC

Inspectrice d’académie-Inspectrice pédagogique régionale

Rectorat de Nancy-Metz

Contact : sophie.colognac@ac-nancymetz.fr

 

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* vous pouvez retrouver le questionnaire qui a servi de support à cette étude en téléchargeant la version PDF de ce texte.

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“La contribution des inspecteurs d’académie – inspecteurs pédagogiques régionaux à la performance éducative” par Anja LOUKA

La contribution des inspecteurs d’académie – inspecteurs pédagogiques régionaux à la performance éducative

 

La transformation de l’action publique, notamment à travers son aspect territorial depuis le mouvement de déconcentration des années 1990, a considérablement modifié les missions des inspecteurs d’académie–inspecteurs pédagogiques régionaux. Originellement auxiliaires des inspecteurs généraux, leur place s’est progressivement déplacée vers les académies, sans que leur intégration dans un schéma de gouvernance pédagogique des académies soit pour autant précisée. La réactualisation de leurs missions, pourtant régulière, n’a pas réussi à rattraper la vitesse de cette territorialisation. Le pilotage de ce corps s’en est trouvé incertain et flou, questionnant leur intégration au pilotage pédagogique académique.

Dans ce vaste mouvement de territorialisation du système éducatif, les inspecteurs ont perdu leur raison d’être, au moins pourrait-on le penser. L’inspection générale a alerté sur une nécessaire réflexion concernant la place des inspecteurs territoriaux en 2016 : « La mise en place de la LOLF a resserré les relations opérationnelles et budgétaires de cette direction centrale avec les académies, à travers notamment les budgets opérationnels de programme académiques et la contractualisation. Aussi, de nouvelles articulations sont-elles aujourd’hui à rechercher entre la ligne de pilotage opérationnel, incarnée par la DGESCO, et la ligne fonctionnelle reliant les inspecteurs territoriaux à l’inspection générale. »[1]

 

La fonctionnalisation programmée du corps de l’inspection générale depuis le 1er janvier 2023 achève ce déplacement des inspecteurs d’académie– inspecteurs pédagogiques régionaux du national vers le territorial et permet désormais de repenser, de clarifier et de restructurer leurs missions. Deux visions stratégiques s’opposent dans ce contexte : l’une souhaite voir les inspecteurs territoriaux se consacrer uniquement à l’accompagnement des enseignants, laissant le pilotage de la performance à d’autres acteurs ; l’autre propose d’imaginer leur intégration dans une gouvernance académique partagée.

Le 15 mars 2022, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, et son ministre délégué chargé des comptes publics, Olivier Dussopt, constatent ainsi, en réponse à un référé de la Cour des Comptes concernant les inspecteurs territoriaux, que « (i) leurs missions sont trop nombreuses et trop diverses du fait notamment des évolutions récentes en ressources humaines (rendez-vous de carrière parcours professionnels, carrière et rémunérations – PPCR) et organisationnelles ; (ii) la gestion des moyens est perfectible car ils ne sont pas efficacement répartis en fonction des besoins sur les territoires et la gestion des corps mériterait d’être moins centralisée et plus individuelle pour être adaptée aux missions et attentes de ces personnels d’encadrement. Nous appelons ainsi […] à la revue et la clarification des missions des inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN) et des inspecteurs académiques–inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) notamment entre missions administratives et de pilotage et missions pédagogiques et d’inspection pour rendre in fine plus efficiente, à chaque échelon territorial,[…] leur action dans le cadre d’un nouveau schéma cible. […] Au sein de cette revue des missions, nous partageons la recommandation de la Cour visant à confier au chef d’établissement l’évaluation des enseignants du 2nd degré pour leur dégager plus de temps lié à l’accompagnement des enseignants. »[2]

Cette situation sera l’occasion de questionner la pertinence de la participation des IA-IPR au pilotage académique, à travers un regard historique porté sur leurs missions depuis la création du corps (i), mais aussi à travers une interrogation sur leur contribution à la performance éducative (ii). Cette réflexion permettra d’identifier un changement de paradigme permettant de proposer une restructuration de leurs missions (iii).

 

Les missions des IA-IPR depuis la création du corps

Une compétence essentielle : tisser du lien entre plusieurs systèmes d’action

Un regard historique sur le corps des inspecteurs permet de préciser à quel point celui-ci est structurellement, et non pas conjoncturellement, concerné par des tiraillements de diverses sortes. Celles-ci concernent en premier lieu le national et le territorial, mais aussi la pédagogie et l’administration, le disciplinaire et le transversal, l’évaluation et l’accompagnement. La double tutelle des IA-IPR (recteur et inspection générale), qui n’existait pas encore à la création du corps en 1964, lorsqu’ils étaient de simples adjoints des inspecteurs généraux et exerçaient exclusivement des missions de contrôle, a eu un effet d’enrichissement des missions des inspecteurs qui sont devenus, selon le terme de Michel Crozier, des marginaux sécants, c’est-à-dire des acteurs qui sont « partie prenante dans plusieurs systèmes d’action en relation les uns avec les autres et qui [peuvent], de ce fait, jouer le rôle indispensable d’intermédiaire et d’interprète entre des logiques d’action différentes, voire contradictoires »[3]. Savoir tisser le lien entre le national et les académies, mais aussi entre l’administration et ses agents, est une compétence essentielle des inspecteurs.

On peut par ailleurs constater que cette nostalgie d’une « mission originelle d’inspection » (Dubreuil, 2003) se base sur quelque chose qui n’a en réalité jamais existé : dès 1866, Victor Duruy remarquait une tension entre pédagogie et administration concernant les inspecteurs : « Il convient, vous le comprendrez, de réduire le plus possible leurs travaux de cabinet et de leur permettre de consacrer la plus grande partie de leur temps à leurs fonctions actives, c’est-à-dire la visite des écoles. »[4] La phrase de Victor Duruy déconstruit ainsi le mythe d’un âge d’or des inspecteurs uniquement disciplinaires et pédagogiques, hors administration.

Les invariants des missions des IA-IPR

Par ailleurs, une revue de toutes les notes de service et circulaires régulant leurs missions sont l’occasion de révéler des invariants de leurs missions qui sont l’évaluation, l’accompagnement, la gestion des ressources humaines et le conseil. Enfin, l’étude de ces textes permet de révéler que l’expertise des inspecteurs territoriaux, unanimement reconnue comme disciplinaire/pédagogique, est en réalité plus large, puisqu’elle est également territoriale et transversale : ratione materiae, ratione territoriae, ratione transversae.

 

En quoi les IA-IPR contribuent-ils à la performance éducative ?

Dans un second temps, les missions des inspecteurs d’académie–inspecteurs pédagogiques régionaux sont examinées au regard des enjeux de transformation publique et de la performance éducative, qui est définie ici comme la somme de deux objectifs : les objectifs de politique publique générale de l’éducation et de l’enseignement d’un côté, et les objectifs stratégiques de la mission enseignement du projet de loi de finances de l’autre.

La performance éducative consiste dans l’accomplissement et l’exécution des objectifs de politique publique de l’éducation et de l’enseignement, définis par le code de l’éducation. Ces objectifs d’intérêt général sont traduits en objectifs quantifiables à travers les programmes de la mission « enseignement scolaire » des projets de loi de finances, et on mesure la progression vers l’atteinte de ces objectifs à travers des indicateurs précis.

Les deux textes sont donc complémentaires et se résument en une question : qu’est-ce qu’il s’agit d’accomplir et de quelle façon progresse-t-on vers cet accomplissement ?

Les objectifs généraux de l’enseignement et de l’éducation

« L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative », Art. L. 111-1 du code de l’éducation

« Les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur sont chargés de transmettre et de faire acquérir connaissances et méthodes de travail. Ils contribuent à favoriser la mixité et l’égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière d’orientation. » Art. L.121-1 

« La scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l’ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité. » Art. L. 122-1-1 

En y regardant de plus près, on constate que la définition des objectifs généraux dans le code de l’éducation fait le lien entre le disciplinaire et le transversal. Cette jonction n’est pourtant mentionnée dans aucun des textes réglementaires concernant les missions des IA-IPR. Pourtant, chaque discipline contribue à une compréhension globale, complexe, ouverte du monde, comme en témoignent les rapports de l’inspection générale :

« L’articulation entre le disciplinaire et le transversal ne s’improvise pas, elle se construit soigneusement. Pour peu qu’on leur prépare le terrain, les inspecteurs territoriaux pourront alors jouer utilement le rôle d’interface qui doit être le leur. Dans ce contexte, récuser la mission disciplinaire de l’inspecteur relève du contresens. […] Plus le système se complexifie, plus les réformes sont ambitieuses et plus la nécessité d’une animation pédagogique en profondeur, solidement ancrée dans les disciplines, s’impose. »(Dasté et al., 1999)

« Il est à craindre que la globalisation et la transversalité des approches de l’EPLE, si elles sont mal comprises, ne privent ces derniers de la valeur ajoutée apportée par l’expertise pédagogique propres aux corps d’inspection. Ce serait un effet pervers du développement d’un accompagnement coopératif par les inspecteurs, qui les rapproche des chefs d’établissement mais risque de les éloigner du conseil pédagogique aux enseignants, fondé sur l’observation de leurs pratiques réelles. » (Doriath et al., 2012).

« Cependant, les conséquences des évolutions du système éducatif ne semblent pas avoir été tirées sur la régulation de l’activité des inspecteurs et leur management. […] Alors que les inspecteurs du second degré sont recrutés sur des profils disciplinaires ou de spécialité, les enjeux éducatifs et pédagogiques relèvent pour beaucoup de problématiques plus globales et davantage transversales. » (Roser et al., 2016)

Les objectifs de pilotage

La démarche de performance dans la gestion publique consiste en un dispositif de pilotage par objectifs mis en place pour améliorer l’efficience, l’efficacité et la qualité de l’action publique au regard de résultats prédéfinis. La direction du Budget définit ainsi trois axes de la performance, correspondant à trois points de vue sur l’action publique [5] :

  • des objectifs d’efficacité socio-économique (point de vue du citoyen) ;
  • des objectifs de qualité de service (point de vue de l’usager) ;
  • des objectifs d’efficience de la gestion (point de vue du contribuable).

Distinguer ces trois axes permet de mettre en valeur que la performance, si elle est clairement liée à des questions budgétaires dans le contexte des lois de finances, doit s’entendre aussi d’une manière plus large. Certes, les IA-IPR ne s’occupent pas du point de vue du contribuable, puisqu’ils ne gèrent généralement pas de budget, mais l’efficacité socio-économique et la qualité du service de l’éducation les concernent pleinement. Il s’agit de voir de quelle façon ils peuvent y contribuer.

Cette répartition tripartite existe déjà de fait dans les missions des inspecteurs, mais n’est pas formalisée comme telle. À l’heure actuelle, les disciplines prises séparément priment encore dans la structuration des missions, notamment à travers des lettres de missions individuelles et non pas collectives, si toutefois elles existent. Les questions transversales sont, elles aussi, prises une par une, et pas coordonnées en pôles. Certaines académies clarifient les missions en incluant les missions des inspecteurs dans l’organigramme académique, mais pas encore par pôles structurants.

La formalisation par pôle d’expertise permettrait d’ajouter une cohérence d’ensemble à ce qui est décrit partout comme un éparpillement. Cet éparpillement, structurel, reflète la place de marginal sécant des inspecteurs. Leur capacité à tisser du lien entre les différents segments du système scolaire est une plus-value certaine pour la réussite des élèves, car elle est facilitatrice et renforce la coopération entre les différents acteurs. Exprimée ainsi, l’expertise des inspecteurs permet de s’affranchir des tensions entre disciplinaire/transversal, pédagogie/administration, pour mettre en avant leur contribution aux objectifs de l’enseignement.

Enfin, cette formalisation permet d’imaginer une inscription claire de chaque inspecteur dans les académies : si chaque inspecteur s’inscrit dans chacun de ces pôles, on pourrait imaginer une répartition plus coopérative des dossiers transversaux. Au lieu de ne confier certaines missions transversales qu’à des « spécialistes », par exemple, réserver les questions de citoyenneté aux inspecteurs d’histoire-géographie, cela permettrait d’avoir un représentant de chaque pôle disciplinaire au service de la citoyenneté. Cela permettrait de favoriser l’irrigation des questions transversales dans toutes les disciplines et dans tous les bassins éducatifs de la façon la plus coopérative.

En explicitant la compréhension disciplinaire et transversale, l’expertise pédagogique et administrative, la dimension nationale et territoriale des champs d’action des IA-IPR, leurs missions gagneraient en clarté et en lisibilité. Il est vrai que les inspecteurs sont sur tous les fronts, mais depuis la création de leur corps c’est ainsi, et c’est leur force. Cependant, une structuration plus claire de leurs missions permettrait peut-être d’éviter qu’elle soit vécue comme un éparpillement.

Changer de paradigme pour restructurer les missions des IA-IPR

Cette confrontation conduit à imaginer une nouvelle structuration des missions, sortant d’une vision statique pour aller vers une organisation dynamique, ce qui permet d’opérer un changement fondamental : au lieu de vouloir effacer les tiraillements entre différents segments du système scolaire, est proposée ici une vision radicalement différente, qui met en valeur la plus-value des inspecteurs d’académie–inspecteurs pédagogiques régionaux si on les met justement au milieu de ces tiraillements. Ils constituent un corps souple et adaptable, capable de s’appuyer sur leur triple expertise pour mettre de l’horizontalité là où le système est encore en partie organisé en silos administratifs. Dans ce sens, les inspecteurs d’académie–inspecteurs pédagogiques régionaux constituent un réel atout pour la modernisation du système éducatif.

À partir de ce changement de paradigme sont proposées des missions organisées en quatre volets, se nourrissant les unes les autres dans un cercle vertueux : contribuer à une évaluation tournée vers l’action, accompagner la différenciation des territoires, accompagner et impliquer les agents, favoriser l’innovation territoriale. Le lien de ces missions avec la performance étant mis en évidence, une intégration du corps dans le pilotage académique, plutôt qu’une concentration de leur rôle vers le seul aspect d’accompagnement des équipes pédagogiques, tel que le propose l’Inspection générale en 2020, est présentée comme une façon de soutenir leur contribution à la performance éducative.

Ces propositions ouvrent des interrogations concernant la territorialisation de l’organisation du système scolaire. Le maillon central de la performance éducative a été d’abord l’inspection générale, ensuite les académies, et, enfin l’établissement scolaire lui-même. Si les textes réglementaires sont clairs à ce sujet, les esprits n’ont pas encore pris toute la mesure de ce changement. Cette révolution copernicienne est en train de s’opérer en ce moment même, notamment à travers l’évaluation des établissements, qui met tous les acteurs concernés autour d’une table pour réfléchir collectivement à l’évaluation et la mise en œuvre de la performance éducative au sein de l’établissement.

Mais cette révolution nécessite bien plus qu’une restructuration des missions des inspecteurs territoriaux, car elle ébranle toute l’organisation du système scolaire. Et c’est là que deviennent particulièrement intéressantes les propositions de la Cour des Comptes et du ministère de l’Économie évoquées ci-dessus, et inspirées de la responsabilisation des gestionnaires : dans la gestion financière publique, la séparation entre ordonnateurs et comptables, trop cloisonnée, considérée comme un frein à la performance, a été assouplie, mais en maintenant une séparation organique. L’expérimentation en cours du compte financier unique dans les collectivités territoriales révèle que l’information financière en devient plus simple et plus lisible, à travers un seul document qui rationalise et modernise l’information budgétaire et comptable. Il rapproche les données qui se complètent pour mieux apprécier la situation financière.

Si on transpose cette réflexion de gestion financière publique à la performance éducative, on pourrait imaginer de s’en inspirer non pas pour l’évaluation des agents, mais à un niveau plus global, dépassant la question des missions des inspecteurs territoriaux : le pilotage de la performance éducative. L’établissement scolaire ne pourrait-il pas devenir le lieu qui réunit et rationalise, modernise l’information apportée par tous les acteurs, rapproche les données qui se complètent ? Il serait réellement, de ce fait, le lieu du pilotage de la performance, qui est pour l’instant encore plus ancré dans les rectorats que dans les établissements. Et dans cette révolution, déjà commencée, la place des inspecteurs permet de tisser du lien entre les établissements, de garantir une cohésion territoriale, en toute horizontalité, pour relier entre eux les différents segments et acteurs du système scolaire.

Anja LOUKA

IA-IPR éducation musicale et chant choral

Académie de Nancy-Metz

 

Avril 2023

[1] Roser, Erick, André, Bernard, Cuisinier, Jean-François (pilotes). Rôle et positionnement des inspecteurs du second degré en académie.Inspection générale de l’Éducation Nationale. Paris : 2016.

[2] Le Maire, Bruno, Dussopt, Olivier. Réponse au référé n° S2021-2467 de la Cour des Comptes. Paris : 2022.

[3] Crozier, Michel, Friedberg, Erhard. L’acteur et le système.  Paris : Points, 1977.

[4] Duruy, Victor. Circulaire du ministère de l’Instruction publique. Paris : Journal général de l’Instruction publique et des cultes, volume 36, 1866.

[5] https://www.budget.gouv.fr/reperes/performance/articles/trois-types-dobjectifs-pour-apprecier-lefficacite-de-laction-publique

 

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