“La contribution des inspecteurs d’académie – inspecteurs pédagogiques régionaux à la performance éducative” par Anja LOUKA
La contribution des inspecteurs d’académie – inspecteurs pédagogiques régionaux à la performance éducative
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La transformation de l’action publique, notamment à travers son aspect territorial depuis le mouvement de déconcentration des années 1990, a considérablement modifié les missions des inspecteurs d’académie–inspecteurs pédagogiques régionaux. Originellement auxiliaires des inspecteurs généraux, leur place s’est progressivement déplacée vers les académies, sans que leur intégration dans un schéma de gouvernance pédagogique des académies soit pour autant précisée. La réactualisation de leurs missions, pourtant régulière, n’a pas réussi à rattraper la vitesse de cette territorialisation. Le pilotage de ce corps s’en est trouvé incertain et flou, questionnant leur intégration au pilotage pédagogique académique.
Dans ce vaste mouvement de territorialisation du système éducatif, les inspecteurs ont perdu leur raison d’être, au moins pourrait-on le penser. L’inspection générale a alerté sur une nécessaire réflexion concernant la place des inspecteurs territoriaux en 2016 : « La mise en place de la LOLF a resserré les relations opérationnelles et budgétaires de cette direction centrale avec les académies, à travers notamment les budgets opérationnels de programme académiques et la contractualisation. Aussi, de nouvelles articulations sont-elles aujourd’hui à rechercher entre la ligne de pilotage opérationnel, incarnée par la DGESCO, et la ligne fonctionnelle reliant les inspecteurs territoriaux à l’inspection générale. »[1]
La fonctionnalisation programmée du corps de l’inspection générale depuis le 1er janvier 2023 achève ce déplacement des inspecteurs d’académie– inspecteurs pédagogiques régionaux du national vers le territorial et permet désormais de repenser, de clarifier et de restructurer leurs missions. Deux visions stratégiques s’opposent dans ce contexte : l’une souhaite voir les inspecteurs territoriaux se consacrer uniquement à l’accompagnement des enseignants, laissant le pilotage de la performance à d’autres acteurs ; l’autre propose d’imaginer leur intégration dans une gouvernance académique partagée.
Le 15 mars 2022, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, et son ministre délégué chargé des comptes publics, Olivier Dussopt, constatent ainsi, en réponse à un référé de la Cour des Comptes concernant les inspecteurs territoriaux, que « (i) leurs missions sont trop nombreuses et trop diverses du fait notamment des évolutions récentes en ressources humaines (rendez-vous de carrière parcours professionnels, carrière et rémunérations – PPCR) et organisationnelles ; (ii) la gestion des moyens est perfectible car ils ne sont pas efficacement répartis en fonction des besoins sur les territoires et la gestion des corps mériterait d’être moins centralisée et plus individuelle pour être adaptée aux missions et attentes de ces personnels d’encadrement. Nous appelons ainsi […] à la revue et la clarification des missions des inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN) et des inspecteurs académiques–inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) notamment entre missions administratives et de pilotage et missions pédagogiques et d’inspection pour rendre in fine plus efficiente, à chaque échelon territorial,[…] leur action dans le cadre d’un nouveau schéma cible. […] Au sein de cette revue des missions, nous partageons la recommandation de la Cour visant à confier au chef d’établissement l’évaluation des enseignants du 2nd degré pour leur dégager plus de temps lié à l’accompagnement des enseignants. »[2]
Cette situation sera l’occasion de questionner la pertinence de la participation des IA-IPR au pilotage académique, à travers un regard historique porté sur leurs missions depuis la création du corps (i), mais aussi à travers une interrogation sur leur contribution à la performance éducative (ii). Cette réflexion permettra d’identifier un changement de paradigme permettant de proposer une restructuration de leurs missions (iii).
Les missions des IA-IPR depuis la création du corps
Une compétence essentielle : tisser du lien entre plusieurs systèmes d’action
Un regard historique sur le corps des inspecteurs permet de préciser à quel point celui-ci est structurellement, et non pas conjoncturellement, concerné par des tiraillements de diverses sortes. Celles-ci concernent en premier lieu le national et le territorial, mais aussi la pédagogie et l’administration, le disciplinaire et le transversal, l’évaluation et l’accompagnement. La double tutelle des IA-IPR (recteur et inspection générale), qui n’existait pas encore à la création du corps en 1964, lorsqu’ils étaient de simples adjoints des inspecteurs généraux et exerçaient exclusivement des missions de contrôle, a eu un effet d’enrichissement des missions des inspecteurs qui sont devenus, selon le terme de Michel Crozier, des marginaux sécants, c’est-à-dire des acteurs qui sont « partie prenante dans plusieurs systèmes d’action en relation les uns avec les autres et qui [peuvent], de ce fait, jouer le rôle indispensable d’intermédiaire et d’interprète entre des logiques d’action différentes, voire contradictoires »[3]. Savoir tisser le lien entre le national et les académies, mais aussi entre l’administration et ses agents, est une compétence essentielle des inspecteurs.
On peut par ailleurs constater que cette nostalgie d’une « mission originelle d’inspection » (Dubreuil, 2003) se base sur quelque chose qui n’a en réalité jamais existé : dès 1866, Victor Duruy remarquait une tension entre pédagogie et administration concernant les inspecteurs : « Il convient, vous le comprendrez, de réduire le plus possible leurs travaux de cabinet et de leur permettre de consacrer la plus grande partie de leur temps à leurs fonctions actives, c’est-à-dire la visite des écoles. »[4] La phrase de Victor Duruy déconstruit ainsi le mythe d’un âge d’or des inspecteurs uniquement disciplinaires et pédagogiques, hors administration.
Les invariants des missions des IA-IPR
Par ailleurs, une revue de toutes les notes de service et circulaires régulant leurs missions sont l’occasion de révéler des invariants de leurs missions qui sont l’évaluation, l’accompagnement, la gestion des ressources humaines et le conseil. Enfin, l’étude de ces textes permet de révéler que l’expertise des inspecteurs territoriaux, unanimement reconnue comme disciplinaire/pédagogique, est en réalité plus large, puisqu’elle est également territoriale et transversale : ratione materiae, ratione territoriae, ratione transversae.
En quoi les IA-IPR contribuent-ils à la performance éducative ?
Dans un second temps, les missions des inspecteurs d’académie–inspecteurs pédagogiques régionaux sont examinées au regard des enjeux de transformation publique et de la performance éducative, qui est définie ici comme la somme de deux objectifs : les objectifs de politique publique générale de l’éducation et de l’enseignement d’un côté, et les objectifs stratégiques de la mission enseignement du projet de loi de finances de l’autre.
La performance éducative consiste dans l’accomplissement et l’exécution des objectifs de politique publique de l’éducation et de l’enseignement, définis par le code de l’éducation. Ces objectifs d’intérêt général sont traduits en objectifs quantifiables à travers les programmes de la mission « enseignement scolaire » des projets de loi de finances, et on mesure la progression vers l’atteinte de ces objectifs à travers des indicateurs précis.
Les deux textes sont donc complémentaires et se résument en une question : qu’est-ce qu’il s’agit d’accomplir et de quelle façon progresse-t-on vers cet accomplissement ?
Les objectifs généraux de l’enseignement et de l’éducation
« L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative », Art. L. 111-1 du code de l’éducation
« Les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur sont chargés de transmettre et de faire acquérir connaissances et méthodes de travail. Ils contribuent à favoriser la mixité et l’égalité entre les hommes et les femmes, notamment en matière d’orientation. » Art. L.121-1
« La scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l’ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité. » Art. L. 122-1-1
En y regardant de plus près, on constate que la définition des objectifs généraux dans le code de l’éducation fait le lien entre le disciplinaire et le transversal. Cette jonction n’est pourtant mentionnée dans aucun des textes réglementaires concernant les missions des IA-IPR. Pourtant, chaque discipline contribue à une compréhension globale, complexe, ouverte du monde, comme en témoignent les rapports de l’inspection générale :
« L’articulation entre le disciplinaire et le transversal ne s’improvise pas, elle se construit soigneusement. Pour peu qu’on leur prépare le terrain, les inspecteurs territoriaux pourront alors jouer utilement le rôle d’interface qui doit être le leur. Dans ce contexte, récuser la mission disciplinaire de l’inspecteur relève du contresens. […] Plus le système se complexifie, plus les réformes sont ambitieuses et plus la nécessité d’une animation pédagogique en profondeur, solidement ancrée dans les disciplines, s’impose. »(Dasté et al., 1999)
« Il est à craindre que la globalisation et la transversalité des approches de l’EPLE, si elles sont mal comprises, ne privent ces derniers de la valeur ajoutée apportée par l’expertise pédagogique propres aux corps d’inspection. Ce serait un effet pervers du développement d’un accompagnement coopératif par les inspecteurs, qui les rapproche des chefs d’établissement mais risque de les éloigner du conseil pédagogique aux enseignants, fondé sur l’observation de leurs pratiques réelles. » (Doriath et al., 2012).
« Cependant, les conséquences des évolutions du système éducatif ne semblent pas avoir été tirées sur la régulation de l’activité des inspecteurs et leur management. […] Alors que les inspecteurs du second degré sont recrutés sur des profils disciplinaires ou de spécialité, les enjeux éducatifs et pédagogiques relèvent pour beaucoup de problématiques plus globales et davantage transversales. » (Roser et al., 2016)
Les objectifs de pilotage
La démarche de performance dans la gestion publique consiste en un dispositif de pilotage par objectifs mis en place pour améliorer l’efficience, l’efficacité et la qualité de l’action publique au regard de résultats prédéfinis. La direction du Budget définit ainsi trois axes de la performance, correspondant à trois points de vue sur l’action publique [5] :
- des objectifs d’efficacité socio-économique (point de vue du citoyen) ;
- des objectifs de qualité de service (point de vue de l’usager) ;
- des objectifs d’efficience de la gestion (point de vue du contribuable).
Distinguer ces trois axes permet de mettre en valeur que la performance, si elle est clairement liée à des questions budgétaires dans le contexte des lois de finances, doit s’entendre aussi d’une manière plus large. Certes, les IA-IPR ne s’occupent pas du point de vue du contribuable, puisqu’ils ne gèrent généralement pas de budget, mais l’efficacité socio-économique et la qualité du service de l’éducation les concernent pleinement. Il s’agit de voir de quelle façon ils peuvent y contribuer.
Cette répartition tripartite existe déjà de fait dans les missions des inspecteurs, mais n’est pas formalisée comme telle. À l’heure actuelle, les disciplines prises séparément priment encore dans la structuration des missions, notamment à travers des lettres de missions individuelles et non pas collectives, si toutefois elles existent. Les questions transversales sont, elles aussi, prises une par une, et pas coordonnées en pôles. Certaines académies clarifient les missions en incluant les missions des inspecteurs dans l’organigramme académique, mais pas encore par pôles structurants.
La formalisation par pôle d’expertise permettrait d’ajouter une cohérence d’ensemble à ce qui est décrit partout comme un éparpillement. Cet éparpillement, structurel, reflète la place de marginal sécant des inspecteurs. Leur capacité à tisser du lien entre les différents segments du système scolaire est une plus-value certaine pour la réussite des élèves, car elle est facilitatrice et renforce la coopération entre les différents acteurs. Exprimée ainsi, l’expertise des inspecteurs permet de s’affranchir des tensions entre disciplinaire/transversal, pédagogie/administration, pour mettre en avant leur contribution aux objectifs de l’enseignement.
Enfin, cette formalisation permet d’imaginer une inscription claire de chaque inspecteur dans les académies : si chaque inspecteur s’inscrit dans chacun de ces pôles, on pourrait imaginer une répartition plus coopérative des dossiers transversaux. Au lieu de ne confier certaines missions transversales qu’à des « spécialistes », par exemple, réserver les questions de citoyenneté aux inspecteurs d’histoire-géographie, cela permettrait d’avoir un représentant de chaque pôle disciplinaire au service de la citoyenneté. Cela permettrait de favoriser l’irrigation des questions transversales dans toutes les disciplines et dans tous les bassins éducatifs de la façon la plus coopérative.
En explicitant la compréhension disciplinaire et transversale, l’expertise pédagogique et administrative, la dimension nationale et territoriale des champs d’action des IA-IPR, leurs missions gagneraient en clarté et en lisibilité. Il est vrai que les inspecteurs sont sur tous les fronts, mais depuis la création de leur corps c’est ainsi, et c’est leur force. Cependant, une structuration plus claire de leurs missions permettrait peut-être d’éviter qu’elle soit vécue comme un éparpillement.
Changer de paradigme pour restructurer les missions des IA-IPR
Cette confrontation conduit à imaginer une nouvelle structuration des missions, sortant d’une vision statique pour aller vers une organisation dynamique, ce qui permet d’opérer un changement fondamental : au lieu de vouloir effacer les tiraillements entre différents segments du système scolaire, est proposée ici une vision radicalement différente, qui met en valeur la plus-value des inspecteurs d’académie–inspecteurs pédagogiques régionaux si on les met justement au milieu de ces tiraillements. Ils constituent un corps souple et adaptable, capable de s’appuyer sur leur triple expertise pour mettre de l’horizontalité là où le système est encore en partie organisé en silos administratifs. Dans ce sens, les inspecteurs d’académie–inspecteurs pédagogiques régionaux constituent un réel atout pour la modernisation du système éducatif.
À partir de ce changement de paradigme sont proposées des missions organisées en quatre volets, se nourrissant les unes les autres dans un cercle vertueux : contribuer à une évaluation tournée vers l’action, accompagner la différenciation des territoires, accompagner et impliquer les agents, favoriser l’innovation territoriale. Le lien de ces missions avec la performance étant mis en évidence, une intégration du corps dans le pilotage académique, plutôt qu’une concentration de leur rôle vers le seul aspect d’accompagnement des équipes pédagogiques, tel que le propose l’Inspection générale en 2020, est présentée comme une façon de soutenir leur contribution à la performance éducative.
Ces propositions ouvrent des interrogations concernant la territorialisation de l’organisation du système scolaire. Le maillon central de la performance éducative a été d’abord l’inspection générale, ensuite les académies, et, enfin l’établissement scolaire lui-même. Si les textes réglementaires sont clairs à ce sujet, les esprits n’ont pas encore pris toute la mesure de ce changement. Cette révolution copernicienne est en train de s’opérer en ce moment même, notamment à travers l’évaluation des établissements, qui met tous les acteurs concernés autour d’une table pour réfléchir collectivement à l’évaluation et la mise en œuvre de la performance éducative au sein de l’établissement.
Mais cette révolution nécessite bien plus qu’une restructuration des missions des inspecteurs territoriaux, car elle ébranle toute l’organisation du système scolaire. Et c’est là que deviennent particulièrement intéressantes les propositions de la Cour des Comptes et du ministère de l’Économie évoquées ci-dessus, et inspirées de la responsabilisation des gestionnaires : dans la gestion financière publique, la séparation entre ordonnateurs et comptables, trop cloisonnée, considérée comme un frein à la performance, a été assouplie, mais en maintenant une séparation organique. L’expérimentation en cours du compte financier unique dans les collectivités territoriales révèle que l’information financière en devient plus simple et plus lisible, à travers un seul document qui rationalise et modernise l’information budgétaire et comptable. Il rapproche les données qui se complètent pour mieux apprécier la situation financière.
Si on transpose cette réflexion de gestion financière publique à la performance éducative, on pourrait imaginer de s’en inspirer non pas pour l’évaluation des agents, mais à un niveau plus global, dépassant la question des missions des inspecteurs territoriaux : le pilotage de la performance éducative. L’établissement scolaire ne pourrait-il pas devenir le lieu qui réunit et rationalise, modernise l’information apportée par tous les acteurs, rapproche les données qui se complètent ? Il serait réellement, de ce fait, le lieu du pilotage de la performance, qui est pour l’instant encore plus ancré dans les rectorats que dans les établissements. Et dans cette révolution, déjà commencée, la place des inspecteurs permet de tisser du lien entre les établissements, de garantir une cohésion territoriale, en toute horizontalité, pour relier entre eux les différents segments et acteurs du système scolaire.
Anja LOUKA
IA-IPR éducation musicale et chant choral
Académie de Nancy-Metz
Avril 2023
[1] Roser, Erick, André, Bernard, Cuisinier, Jean-François (pilotes). Rôle et positionnement des inspecteurs du second degré en académie.Inspection générale de l’Éducation Nationale. Paris : 2016.
[2] Le Maire, Bruno, Dussopt, Olivier. Réponse au référé n° S2021-2467 de la Cour des Comptes. Paris : 2022.
[3] Crozier, Michel, Friedberg, Erhard. L’acteur et le système. Paris : Points, 1977.
[4] Duruy, Victor. Circulaire du ministère de l’Instruction publique. Paris : Journal général de l’Instruction publique et des cultes, volume 36, 1866.
[5] https://www.budget.gouv.fr/reperes/performance/articles/trois-types-dobjectifs-pour-apprecier-lefficacite-de-laction-publique