L’École n’échappe pas aux tensions nées, dans nos sociétés, d’une accélération générale des phénomènes économiques, politiques et sociaux et des pratiques culturelles : elle en est sans doute un des révélateurs. Mais son ambition, ses pratiques et ses finalités s’en trouvent elles-mêmes questionnées.
Comment concilier en effet le temps long d’un apprentissage, qui accompagne le développement d’un enfant et d’un jeune adulte et n’en finit pas de se prolonger – il ne connaît d’ailleurs aujourd’hui plus de terme puisque la formation s’inscrit tout au long de la vie -, avec les diktats d’immédiateté et d’instantanéité de nos cultures médiatiques ? comment articuler l’épanouissement de chaque élève avec les obligations normées de résultats ? la mise en place de politiques qui engagent les générations à venir et la gestion quotidienne d’un système complexe ? la prise de décision à long terme et l’exigence politicienne de résultats tangibles immédiats ? la standardisation des cursus et des programmes et la plasticité indispensable à la gestion des groupes et des personnes ? la transmission des savoirs et des connaissances dans toute leur dimension patrimoniale et la nécessité de s’adapter à ce qui est et surtout à ce qui n’est pas encore ?
On le voit, ce n’est pas seulement l’éducation en tant que pratique parfois discordante par rapport aux phénomènes culturels contemporains qui est en question, mais l’École elle-même comme institution, sa gestion et son évaluation, sa double inscription dans le prospectif et dans l’actuel, son articulation avec son environnement, familles ou collectivités.
L’enjeu de l’éducation est sans doute plus que jamais de construire de la continuité dans cette discordance des temps et des injonctions culturelles, et de permettre à chaque enfant de reconnaître son parcours personnel à long terme dans l’offre collective et normée que lui présente l’école. Si le décalage des temps, voire leur discordance, est donc essentiel au projet éducatif, les temps de l’éducation subissent désormais une tension plus forte, née de cette dictature de la vitesse, pour reprendre la formule de Paul Virilio, qui exige de l’enfant, du professeur, de l’établissement et de l’institution de rendre des comptes immédiats et d’attester des résultats rapides alors qu’ils prennent en charge des processus lents.
Ce XXVIIIe colloque de l’AFAE doit être l’occasion de nous interroger sur ce jeu de concordance/discordances, d’harmonies et de dissonances qui sont au cœur des projets éducatifs et des organisations qui structurent l’École. Nous essaierons, grâce à des voix diverses – ainsi que le veut l’esprit de notre association – celles d’élèves, de parents d’élèves, d’enseignants, de chefs d’établissements, d’inspecteurs, de cadres du Ministère de l’Éducation nationale, de chercheurs, de responsables de collectivités territoriales, d’aborder ce thème dans toute sa complexité et sa richesse, par des conférences, des tables rondes et ateliers, en ayant à cœur de penser ce qui peut être fait pour rendre toujours plus efficace un système dont l’ambition est d’abord, de façon démocratique, d’enrichir le temps de formation de chaque individu, de l’accompagner dans son devenir adulte et citoyen et de faire advenir ses projets individuels et la promesse collective dont sa réussite participe.
Alain WARZÉE, Président de l’AFAE